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Critique de Christophe_bj


Lila, dix-huit-ans, arrive de sa banlieue populaire pour étudier le droit à Paris. Elle loue une petite chambre de bonne au pied de la butte Montmartre. Son université, qui est située place du Panthéon, accueille beaucoup d'étudiants bourgeois très à l'aise socialement. Lila voudrait s'intégrer à leur groupe mais c'est très difficile pour elle. Désireuse d'adopter le même mode de vie qu'eux, à court d'argent, elle décide de se prostituer via Internet, sans comprendre qu'elle met en route un engrenage qui risque de la broyer. ● A mesure que je cheminais dans la lecture de ce livre, je trouvais qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas sans savoir quoi. ● En principe, je suis très intéressé par les histoires sur la prostitution, ainsi j'aime beaucoup les livres de Johan Zarca, comme son remarquable roman La Nuit des hyènes (2022), ou encore Chienne et louve de Joffrine Donnadieu (2022) par exemple. ● J'ai aussi lu avec intérêt le livre-enquête de Tan, TDS, Témoignages de travailleuses et travailleurs du sexe (2022), pour ne parler que des plus récents et sans remonter à Boule de Suif, à La Maison Tellier ou à Nana (récits que j'aime beaucoup !). ● Avec le recul, je crois que j'ai compris ce qui m'a beaucoup dérangé dans le livre d'Aure Hajar : l'histoire est parasitée par un discours argumentatif et militant qui, si en soi il est tout à fait recevable et qu'on ne peut que l'approuver, gêne le déploiement de la trame narrative et entrave le rythme du récit. ● J'ai lu quelque part que l'autrice avait commencé par vouloir écrire un essai, eh bien cela se voit car il en reste de nombreuses scories qui dévalorisent son roman. ● Si on le compare par exemple à Chienne et louve, qui a une trame assez proche (une étudiante pauvre qui se prostitue), je trouve le roman de Joffrine Donnadieu beaucoup plus percutant car la démonstration vient de l'histoire elle-même et non de remarques théoriques malencontreusement insérées dans le récit. ● Citons par exemple ce passage : « Mais très vite, la culture politique de Candice me troubla ; tout était pour elle matière à revendication. Elle était pute, certes, et à mon grand étonnement elle se disait fière de l'être, cependant elle se considérait avant tout comme une travailleuse du sexe – elle militait d'ailleurs pour l'utilisation de cette expression. — Quelle différence ? lui demandais-je, inculte. — La différence, m'expliqua-t-elle en prenant appui sur ses avant-bras, c'est que le mot pute est utilisé pour nous définir tout entières alors qu'il ne devrait désigner que notre activité. Je suis une pute quand je travaille, c'est un métier difficile et exigeant, qui requiert un certain nombre de compétences morales face à un client – capacité à prendre sur soi, à masquer son dégoût parfois, à faire croire que les banalités qu'il débite sont intéressantes, et cætera. Or quand je rentre chez moi, ou quand je suis avec des amies, comme ici avec toi, je suis juste Candice et je ne travaille pas. » ● Les notions abordées dans ce passage, notamment celle de « travailleuse du sexe » ayant des « compétences », on les retrouve dans le livre de Tan cité plus haut, TDS, mais c'est un livre de sociologie militante, pas un roman. ● Dans son roman, Aure Hajar aurait dû nous montrer cela par son récit et non le révéler dans un dialogue lourdement didactique et expositif. ● Je suis étonné que le travail d'édition du texte n'ait pas davantage porté là-dessus, sachant qu'on trouve sur Internet un échange entre l'autrice et son éditrice qui met justement l'accent sur le travail d'édition du texte : https://www.edithetnous.com/blog/comment-naissent-les-nouvelles-voix-de-la-litterature . ● J'ai aussi trouvé les noms des personnages comme Octave Germanopratin ou Arnolphe beaucoup trop lourdement signifiants… Un peu de finesse n'aurait pas nui dans ces choix de noms. Je signale aussi une confusion qui apparaît deux fois entre les verbes « conférer à » et « confiner à » : par exemple : « Celle de foirer ma vie avec une obstination qui confèrerait à la connerie. » ● Je ressors donc de cette lecture avec une impression très mitigée et j'ai l'impression que si le travail d'édition avait été mieux fait, le livre aurait pu avoir beaucoup plus de force ; c'est dommage.
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