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Critique de JustAWord


Après American Elsewhere l'année passée, Albin Michel Imaginaire récidive dans le domaine du fantastique et de l'horreur avec Une Cosmologie de monstres, premier roman de l'américain Shaun Hamill paru depuis quelques jours aux États-Unis. Sous influence lovecraftienne (comme nombre de livres d'horreur récents d'ailleurs…), le récit de Shaun Hamill nous transporte aux États-Unis pour suivre sur plusieurs générations une famille marquée par le malheur.

Bienvenue chez les Turner
Tout commence dans la fin des années 60 avec une jeune femme pleine de rêves et d'ambitions : Margaret. Tiraillée entre les exigences de sa famille chrétienne et ses pulsions de liberté, celle-ci tombe rapidement amoureuse d'un excentrique garçon du nom d'Harry Turner. Davantage intéressé par les romans d'horreurs et les comics que par l'église et la morale, ce drôle d'oiseau n'a pas grand chose du gendre idéal surtout lorsque l'on sait que sa mère, Deborah, souffre de schizophrénie paranoïde sévère depuis des années. Seulement voilà, la vie prend bien des chemins et Margaret tombe amoureuse de ce littérophile adepte d'horreur cosmique à la Lovecraft, un obscur petit écrivain qu'Harry semble aduler. Quelques années plus tard, Harry et Margaret ont fondé une famille avec deux filles prénommées Sydney et Eunice. Alors que le couple s'aperçoit brutalement de leur enlisement dans une routine loin de leurs rêves respectifs, Harry a une idée géniale : construire une maison d'horreur comme celle qu'ils ont visité plus jeune et en faire une attraction pour le quartier à l'occasion d'Halloween. Margaret s'inquiète pourtant de plus en plus pour Harry qui montre une étrange fébrilité à l'égard de ce projet et qui pique de plus en plus de crises de colère ne lui ressemblant guère. Comment va-t-elle pouvoir gérer la folie naissante de son mari…et la prochaine venue au monde de Noah, le dernier rejeton de la famille Turner ?
Shaun Hamill, au lieu de dérouler immédiatement une galerie d'horreur à tentacules pour appâter l'amateur de Cthulhu en goguette, se concentre sur l'intimité d'une cellule familiale, depuis la rencontre entre Harry et Margaret jusqu'aux drames successifs qui vont toucher les Turner.
Davantage préoccupé par ses personnages et leurs trajectoires de vies, Hamill dresse le portrait sensible et poignant d'une famille attachante. Les Turner ne sont ni de grands héros ni de grands méchants, simplement des gens ordinaires pris dans la course d'un univers qui va devenir, au fur et à mesure du récit, extraordinaire. Car dès les premiers chapitres, Shaun Hamill déploie une menace diffuse et pesante en toile de fond du couple Margaret-Harry. Une façon intelligente et élégante de rendre un premier hommage à Lovecraft avant d'attaquer quelque chose de bien plus frontal en fin d'ouvrage en faisant largement déborder le fantastique dans les cases du réel.

Une cosmologie familiale
Au centre du récit et de cette famille se trouve Noah, narrateur de cette aventure en niveaux de gris qui nous ouvre non seulement les portes de son esprit, de ses conflits et de ses remords, mais également celles de sa famille. Shaun Hamill n'a ici rien à envier à nombre d'écrivains de littérature générale brossant tour à tour le portrait d'une soeur, d'un père, d'une mère puis enfin d'une femme. À chaque étape de la vie de Noah, les préoccupations changent. le lecteur suit d'abord les états d'âmes d'un petit garçon puis d'un adolescent et enfin d'un adulte fait. En filigrane, Une Cosmologie de monstres découvre les squelettes dans le placard, les secrets et blessures d'une famille qui souffre de l'absence d'un père emporté par une maladie implacable, l'existence difficile d'une soeur contaminée par le spectre de la dépression, le lent effacement d'une mère accablée par la culpabilité. Au sein de cette véritable histoire transgénérationnelle se niche un certain nombre de problématiques actuelles : la place de la femme dans la société (et dans la couple), la liberté sexuelle et la religion, le suicide et son tabou et, surtout, le chagrin liée à la perte. de façon étonnante, avant d'être un livre fantastique, Une Cosmologie de monstres se révèle une chronique de la douleur. Face à la mort d'un être cher, face à la disparition d'une soeur (littérale ou métaphorique) ou même face à l'incommunicable, à la sensation d'être piégé dans un univers qui ne nous comprend pas et qui, de toute façon, ne pourrait pas nous comprendre. Car Noah, lorsqu'il est encore très jeune, aperçoit un monstre à sa fenêtre et, au lieu d'un avoir peur, finit par le confronter. Dès lors commence une histoire bien plus complexe qu'un simple cache-cache horrifique où les monstres eux-mêmes peuvent trouver une part de rédemption.

Valse des costumes
Au cours de ces 400 pages, Shaun Hamill dévoile son amour du genre citant ouvertement Lovecraft mais n'usant jamais de pastiches faciles et d'effets vulgaires. Il recrée sa propre mythologie, ré-assemble les pièces de ce qui fait l'essence même de l'oeuvre du romancier. En un sens Shaun s'incarne dans Noah poussé dans les bras de l'horreur par son père Harry/Howard. Dans Une Cosmologie de monstres, c'est toute une culture de la peur et l'amour du frisson qui transparaît, des vieilles maisons hantées aux films de zombies en passant par des comics de l'âge d'or et des super-héros en jouets. Pourtant, jamais cet amour n'écrase le récit, il s'efface plutôt au profit d'une touche sensible mais honnête où le fantastique joue longtemps à cache-cache avec la maladie mentale. Lorsque l'américain finit par plonger à corps perdu dans sa Cité à lui, il le fait vite et fort pour conclure une histoire qui prend d'autant plus aux tripes qu'elle nous paraît familière et proche de nous, avec ces malheurs de la vie quotidienne semblant causés par des forces occultes qui nous dépassent. Avec force et maestria, Une Cosmologie de monstres parcourt les espaces entre les mondes et défie les apparences. Un garçon peut se retrouver plus à l'aise dans le rôle du monstre quand un monstre peut vouloir (re)trouver son humanité. Une jeune fille peut regretter son sexe quand d'autres imposent une apparence et une morale à leurs voisins. Au jeu des paraître, Shaun Hamill s'amuse comme dans une maison hantée, passant derrière les murs pour surprendre et révéler ce que vous n'aviez pas vu (ou voulu voir).
Mais au-delà de l'aspect fantastique maîtrisé et de cette horreur-light mais insidieuse, Une Cosmologie de monstres s'impose comme un roman de sacrifice de bout en bout au service de ce qui compte en définitif le plus au monde : la famille.

Excellent récit fantastique mâtiné d'une horreur lovecraftienne ingénieuse et envoûtante, Une Cosmologie de monstres comprend qu'une grande histoire nécessite de grands personnages. Shaun Hamill vous sert donc un récit intimiste et émouvant où l'horreur surgit autant à travers les malheurs de l‘existence que camouflée par les turpitudes de l'imaginaire.
Lien : https://justaword.fr/une-cos..
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