Le regard qu'elle me lance vaut plus que mille déclarations.
Quand on travaille dans le luxe, on le côtoie sans le vivre. On reste au niveau inférieur, tout en devant avoir l’allure requise pour ne pas faire tache.
Oui, mes hanches sont larges. Oui, mes seins sont plus gros et moins toniques que la moyenne. Oui, j’ai une petite bosse au niveau de mon estomac. Oui, mes cheveux non disciplinés sont anarchiques et forment une crinière désordonnée autour de mon visage. Mes lèvres sont trop épaisses à mon goût. Mes yeux pas assez en amande. Mon nez trop en trempette. Mais on s’en fout de tout ça. Ce n’est pas important parce que je suis en vie.
Elle pourrait me faire tellement souffrir. Mais elle pourrait aussi tellement m’aider. Tellement me faire du bien. Tellement être celle dont j’ai besoin dans ma vie.
J’aimerais être aussi nonchalant. J’aimerais aussi pouvoir lui résister, mais je sais qu’elle ne lâchera pas.
On oublie le passé et on démarre un nouveau chapitre. Non, mieux : un nouveau livre !
Tu sais, ce moment avant qu’on s’embrasse pour la première fois? Ce moment où on attend, on ne sait pas quand ça va se produire, alors on guette toutes les petites réactions de l’autre. On a le cœur qui s’emballe au moindre effleurement. Les mains un peu moites et la respiration inégale. Je veux ça pour nous. Et je le veux maintenant, et après.
Dans le noir, on pourrait dire qu’elle ne serait pas amoureuse d’un autre et que moi je ne serais pas en train de me faire du mal. Dans le noir, la réalité serait assez mise à distance pour que je puisse la réconforter sans trop en souffrir. Dans le noir je ne la verrais pas pleurer et je la tiendrais près de moi. Mais nous ne sommes pas dans le noir.
La souffrance fait ressortir sa rancœur et sa colère, sa rage, même. C’est compréhensible : qui pourrait lui en vouloir ? Mais elle se déteste dans ces moments-là. Avec moi, c’est différent : je reste un étranger.
Habituellement, j’ai affaire à des personnes âgées, leur vie est derrière eux et ils l’ont bien vécue. Non pas que la mort soit plus agréable à observer, hein, mais elle est plus logique, acceptable. Mais une adolescente qui avait encore tout à découvrir, ça change la donne. On est formés pour ça, surtout lors des trois années qu’on a passées en pédiatrie avant de monter le cabinet. On s’habitue simplement jamais à voir des enfants mourir.