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Critique de Nokturne


Une femme (dans le livre : "la femme"... on relèvera l'impersonnel) quitte soudain son compagnon et son geste, qui ne conclut aucune réflexion préalable et pourrait la libérer des places qui lui sont assignées (compagne dépendante et désirable, mère aimante et corvéable, ménagère, ...), derechef suscite autour d'elle inquiétude et incompréhension (une femme ne saurait vivre dans la solitude et qu'elle la désire est impensable, elle qui est censée se régler sur son homme et son enfant) et, surtout! elle-même n'est pas consciente du sens de son acte ni de sa portée existentielle et, en conséquence, se retrouve "déprogrammée" de façon erratique (à un moment, comme un robot maternel et ménager qui "buggerait", elle se comporte de manière anarchique et absurde dans l'accomplissement de ses tâches).

C'est uniquement un texte que "la femme" traduit pour un éditeur qui met les mots sur ce qui se passe en elle et ce qu'elle attend de son compagnon mais, de ce texte elle ne fait rien non plus, elle ne se l'approprie pas plus.

Cet ouvrage court (une centaine de pages) est une succession de saynètes théâtralisant un quotidien banal et présenté dans un style sobre où, en raison de la forme narrative, domine un climat étrange: une stylisation/caricaturisation désincarnante des personnages les fait apparaître comme  des automates cantonnés (et perdus) dans leurs stéréotypes genrés, récitant tous leur texte. Ces stéréotypes sont-ils mis à mal, l'absurde et la violence (l'odieuse suffisance machiste) font irruption dans les vies: outré, le compagnon refuse le dialogue, la rencontre; sans la femme-objet, le monde de l'homme s'effondre et la femme, elle, attend silencieuse au bord de la folie (elle la nomme "amok").

À la fin du livre, le texte se désarticule et prend la forme d'une pièce de théâtre absurde, comme pour traduire l'absence totale de sens dans les liens humains, en fait inexistants... Il n'y a que des solitudes repliées sur elles-mêmes qui en heurtent d'autres, pareilles, et qui sont prises dans, et n'existent qu'au travers de conventions sociales et de rapports de pouvoir aliénants. Et lorsqu'un événement vient remettre cet ordre établi en cause, tout le monde, y compris celle qui l'a, sans le comprendre, ébranlé, fait finalement comme si de rien n'était, ainsi que le souligne la citation des Affinités électives qui clôt l'ouvrage.

Un livre résolument pessimiste, mais paru trente ans avant Metoo.

On appréciera la qualité de la traduction de Georges-Arthur Goldscmidt.
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