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Critique de colimasson


Pris à son propre piège… On pourrait croire qu'à force de côtoyer la littérature et de pratiquer l'écriture, l'expression devient sans cesse plus aisée. Peter Handke nous démontre que ce n'est pas forcément le cas et que les mots, assimilés en phrases toutes faites, en expressions proverbiales et en autres tournures stéréotypées, constituent souvent un obstacle à l'expression sincère et véridique.


Après la mort de sa mère par suicide, Peter Handke fait l'expérience de cette impossibilité de dire les sentiments. le besoin de raconter est intense, mais la peur de ne pas réussir à être juste pousse finalement l'écrivain à repousser sans cesse l'échéance, à remettre pour le lendemain le début de l'écriture de son expérience. Lorsque Peter Handke trouve enfin le courage de se mettre au travail, plusieurs semaines après l'enterrement se sont déjà écoulées… Ses doutes transparaissent encore nettement. Ressentis à la fois à travers le style d'écriture en lui-même –beaucoup de tergiversations qui donnent l'impression de tourner autour du pot- et à travers les aveux de l'écrivain –qui n'hésite pas à faire figure basse pour dire à quel point il lui est difficile d'écrire à propos de sa mère sans céder aux tournures de style conventionnelles et donc impersonnelles-, il en résulte un récit difficile à intégrer.


Peter Handke n'aborde pas frontalement la mort de sa mère en exprimant ses émotions. D'ailleurs, les seuls sentiments qu'il osera véritablement transposer ne seront jamais liés à son deuil mais plus indirectement aux difficultés qu'il trouve à les transcrire par le biais de l'écriture. Cette lutte, qu'on pourrait juger ridicule parce qu'elle s'apparente à une forme de snobisme culturel, traduit en réalité la douleur de Peter Handke : non seulement il souffre de la disparition de sa mère, mais en plus il se rend compte que cette expérience est indicible et qu'il ne pourra jamais la partager avec quiconque. Il le pourrait, évidement, en utilisant les expressions toutes faites dont se sert la majorité dans de tels cas, mais il ne le souhaite pas pour une question éthique : selon lui, se serait bafouer la singularité de sa mère et renier ce qu'il y a d'unique dans l'expérience en quoi consiste le deuil d'une personne chère.


On peut saluer le courage de la démarche de Peter Handke, et également sa lucidité quant à la qualité du récit qui découle de son expérience. En effet, il ne se trompe pas lorsqu'il reconnaît devoir lutter pour écrire l'hommage qu'il souhaite rendre à sa mère. Tout à la fois, l'écrivain s'envole dans des descriptions de scènes simples mais teintées d'une grande mélancolie, avant de se mettre à ricaner en soulignant les failles de sa transcription des évènements.


A force de se concentrer sur sa volonté de transcender le média de l'écriture, Peter Handke finirait presque par oublier ce qui l'a poussé à vouloir raconter le suicide de sa mère. Cette dernière s'efface derrière la personnalité de l'écrivain et passe au second plan des difficultés littéraires qu'il rencontre. le malheur indifférent est tout à fait pertinent : en effet, Peter Handke a failli dans sa volonté de transcrire une expérience personnelle, et il se montre tout à fait brillant dans sa lucidité à se rendre compte de cet échec.
Lien : http://colimasson.over-blog...
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