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Critique de Arakasi


Le 5 octobre 1892, un nuage de poudre et de poussière flotte au-dessus de la rue principale de Coffeyville. Des maisons sont saccagées, leurs façades lardées d'impacts de balle, des chevaux morts gisent sur le sol, des cadavres sont affaissés sur le bord des trottoirs. A l'extrémité de la rue, Emmett Dalton s'apprête à prendre la fuite sur sa monture caracolant de terreur. Au dernier moment, il jette un coup d'oeil par-dessus son épaule et voit Bob, son frère Bob, effondré au milieu du trottoir et perdant son sang par une demi-douzaine de blessures. Emmett oublie alors le butin que la bande des Dalton vient de dérober aux deux banques de Coffeyville, il oublie sa propre sécurité, il oublie tout à l'exception de son frère si admiré et si jalousé en train d'agoniser. Il fait volte-face, lance au galop son cheval dans une tentative futile de relever Bob, de le hisser sur sa monture et de prendre la fuite, mais les balles le fauchent avant même qu'il ait eu le temps de faire trente mètres. le dernier frère Dalton survivant s'effondre dans la poussière et les habitants, massés derrière leurs fenêtres, hurlent de joie et se précipitent en jubilant dans la rue. Ce jour-là, au prix d'une douzaine de cadavres et d'une frousse bleue, Coffeyville vient de rentrer dans l'Histoire.

Est-ce que j'aurais l'air très bête, si je reconnais qu'il y a moins de deux ans et avant ma petite crise monomaniaque « le western, c'est trooooop cool », j'ignorais complétement que les frères Dalton avaient réellement existé ? Et qu'ils n'étaient pas quatre couillons complétement incompétents aux mentons en forme de brique, mais de vrais tueurs, des bandits redoutés et admirés – les deux vont souvent de pair dans l'Ouest américain – dans tous les Etats-Unis ? Mais les Daltons n'étaient pas seulement des tueurs, ils étaient également de très jeunes hommes qui, n'ayant même pas dépassé la vingtaine, ont cru voir dans le vol à main armée un moyen d'échapper à leur condition misérable de fils d'agriculteur et d'acquérir une célébrité inespérée.

« Je serai aussi réputé que Jesse James et quand je serai mort, on me volera mes vêtements, on vendra mes pistolets aux enchères et des inconnus se recueilleront sur ma tombe. » prophétise avec une exaltation morbide Bob Dalton, le chef de la bande, à sa compagne Eugenia Moore alors qu'il vient à peine de débuter sa carrière de desperado. Mais à quel prix cette lugubre renommée, ces quelques instants de jouissance éphémères et sauvages ? La haine universelle, la traque constante, les longues périodes de dissimulation dans des ranchs branlants, les nuits passées à tressaillir frileusement au moindre bruit de sabots, au moindre cliquetis de révolver…

Comme dans son autre western, « L'assassinat de Jessy James par le lâche Robert Ford », Ron Hansen se livre à une analyse acérée et subtil de la figure du héros américain, vu sous l'angle du grand banditisme. Il explore la psychologie de ses personnages avec la finesse d'un chirurgien et la rigueur d'un historien, parvenant à donner à son roman un puissant parfum de vraisemblance, renforcé par le style employé, facile d'accès mais d'une sécheresse presque journalistique. Cette sécheresse a pour inconvénient d'instaurait une certaine distance entre le lecteur et les personnages – distance peut-être volontaire d'ailleurs, les frères Dalton n'ayant rien d'enfants de choeur, même si le narrateur Emmett Dalton s'avère assez attachant de par son jeune âge et sa franchise. Ni morale, ni jugement, ni remords hypocrites dans cette épopée sanglante et violente : simplement le témoignage sans fioriture d'une époque disparue où des gamins presque sans expérience nourrissaient les fantasmes des temps à venir en abattant, volant et terrorisant leurs compatriotes. Un bon western, brutal et abondamment documenté.
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