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Critique de berni_29


Entre deux lectures très prenantes, j'ai eu envie de faire une pause sur un texte aux accents érotiques. Lourdes, lentes d'André Hardellet, lecture inspirée par ma rencontre avec la délicieuse chronique d'une certaine non moins délicieuse Chrystèle qui m'a offert la possibilité de connaître cet auteur. Je lui en suis infiniment reconnaissant.
Voici un billet écrit à la force du poignet, en solitaire. Charité bien ordonnée commence par soi-même...
Le narrateur, Stève, a douze ans au début du roman, c'est-à-dire encore l'âge de capturer des sauterelles, les mettre dans des boîtes en carton percées de trous pour la pêche. Mais sans doute déjà rêve-t-il d'un autre monde, la passion des rivières, le bruit des insectes, l'odeur des fleurs au bord des talus, ont simplement éveillé des sens qui désormais sont attentifs à ce qui peut arriver dans sa vie où l'enfance s'en va comme une chenille qui se transforme en papillon.
Et puis il y a Germaine, celle qui a le double de son âge, elle est une jeune femme au service de la famille du narrateur... Mais peut-être qu'on pourrait dire que Stève a la moitié de son âge, dit comme cela c'est une barque que l'on pousse d'un pied innocent depuis une berge, celle de l'enfance, pour l'amener vers l'autre berge, celle encore inconnue...
Cette différence d'âge devient brusquement un chemin initiatique, la plus belle ode aux apprentissages.
Elle est lourde, elle est lente, elle est ainsi cette Germaine qui se révèle une femme généreuse aux yeux du narrateur...
Ils ont l'âge de l'été où les vêtements collent à la peau, il y a une rivière qui bruit à quelques encablures, la berge qui invite, la terre est chaude, amicale, qui donne envie de venir... Il y a des bruits d'insectes dans ces pages où le vertige est insupportable...
Germaine lui doit de le faire passer d'un versant de sa vie à l'autre... Elle est celle qui lui délia un « arc-en-ciel intérieur »...
Lourdes, lentes... Comme les passerelles de la vie, comme les portes que l'on éventre, comme les clefs que l'on façonne et qui pénètrent mystérieusement dans chaque pore de nos peaux...
Aller et venir...
La langue des poètes est truffée d'audaces, elle s'immisce dans les coins les plus secrets de l'imaginaire, des chemins incongrus, là où c'est rose, humide, comme une fleur en son intérieur...
André Hardellet dit l'amour comme l'amour vient, comme cela, avec ses mots, avec ses mots « sales » comme il le dit lui-même, oui c'est vrai que c'est cru, ça devait choquer à l'époque où le roman fut publié et maintenant aussi, mais ce n'est plus la même censure. À l'époque où ce texte parut, la terreur venait du côté de l'ordre public, le pouvoir en place. Aujourd'hui la censure s'est déplacée d'un cran, pire peut-être, vers l'opinion publique... Aujourd'hui, André Hardellet pourrait difficilement publier un tel récit et c'est triste.
Ce roman, c'est comme le bonheur qui coule à flots dans une bouche inassouvie.
Cependant...
À l'heure où le bonbon est devenu une friandise sucrée pour passionnés de soirées d'Halloween, il est bon de réhabiliter les vraies gourmandises dignes de ce nom...
Le ciel empli de promesses, les yeux qui chavirent tandis que la main de la belle ingénue s'active jusqu'à l'abîme, André Hardellet sait dire cela aussi.
Oui, c'est vrai ces mots peuvent paraître sales parce qu'ils sont dits au sens propre, comme ils viennent, dans le corps, dans les bouches gavées de baisers, de gourmandises, qui se goinfrent, se barbouillent à coup de joie sans entrave...
Des mots à gorge déployée. Mais ce n'est que de la pudeur pour cacher ce qui ne peut être réellement dit...
André Hardellet évoque pour lui le plus joli mot de la langue française, celui de « con », devenu vulgaire, une insulte même, or il ramène à une étymologie merveilleuse, signifiant quelque chose de bien plus joli, un nid, un fourreau...
Ce roman, mais en est-ce vraiment un, évoque la première fois, nos premières fois. Ah ! Comme j'aurais aimé être défeuillé par cette fameuse Germaine... ! Je le fus par une certaine Fabienne qui m'avait menti sur son âge... Elle savait que j'avais déjà peur... Forcément, tous les romans d'amour nous ramènent à nos premières fois...
Le cri de la première fois rugit dans ces pages magnifiques de sensualité.
C'est un texte insolent, jouissif, qui amène les mots au bord de la bouche, des lèvres...
Lourdes, lentes... pour dire à la fois la forme pulpeuse d'un corps qui accueille et la main attentionnée qui enseigne... C'est donc forcément un texte généreux.
Ces mots disent les yeux quand le corps prend le plaisir tandis que les têtes s'inclinent en arrière et qu'un coin de ciel traverse la chambre et s'en va...
« Sur le clitoris, son doigt a pris la rapidité vibratile d'une libellule. »
Plus tard, une hôtesse de l'air, perdue dans sa solitude entre deux vols, fera escale dans la vie du narrateur...
C'est un texte délicieusement irrespectueux pour l'ordre des choses, dont la lecture questionne aujourd'hui sur les mots que l'on peut dire, s'autoriser encore à dire, écrire, chroniquer sur le sexe, le rapport intime à l'autre, l'amour tout simplement tel qu'on peut encore en parler en 2021...
Lourdes, lentes est un roman inachevé, si heureusement maladroit, j'en aurais voulu à son auteur que ce texte soit lisse et parfait... Il nous laisse des odeurs d'enfance ahurie, des territoires encore approximatifs où l'on n'en finira pas d'avancer à tâtons dans nos souvenirs, des regrets à peine effleurés, déflorés et des audaces merveilleuses qu'on n'oserait jamais refaire encore une fois, une seule fois encore...
Soixante-sept petits chapitres forment cet exquis roman, mais diable ! Pourquoi ? Pourquoi l'auteur s'est-il arrêté en si bon chemin ? Il lui restait à écrire seulement deux autres pour atteindre le nombre sublime !
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