AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Kirzy


Ceux qui ont suivi les Jeux Olympiques de Sydney en 2000 ont forcément en tête les images de la course à la fois chaotique et héroïque du nageur équato-guinéen Eric Moussambani, les 100 mètres les plus lents de l'histoire, au bord de la noyade, sans jamais mettre la tête sous l'eau, avec un maillot et des lunettes prêtés une heure avant le départ par des adversaires compatissants. Cette aventure follement romanesque a inspiré Mahamat-Saleh Haroun, non pour en faire une hagiographie vantant la devise de Coubertin «  l'important c'est de participer », mais plutôt pour construire une fable morale proche de la satire politique.

Quelque part en Afrique sahélienne, le roman démarre dans le quartier populaire de Toroduna, chez les culs-reptiles, les parias de la société :

« Immobiles tels des montagnes, ils ruminaient la noix de cola, sirotant à longueur de journée des litres de thé accompagnés de pain sec. Ils ne bougeaient leurs fesses qu'en fonction de la rotation du soleil, disputant l'ombre aux chiens et aux margouillats. Des indécrottables rebelles qui, faisant fi de tout contrat social, avaient érigé la glandouille en art de vivre.
Assis au bord de la route, au vu et au su de tous, on ne pouvait pas les rater. Adeptes de la contemplation, ils reluquaient les passants, ne s'empêchaient pas de médire. Etranges spectateurs de leur propre vie, ils observaient le monde comme s'ils n'en faisaient plus partie. (...) Dans ce pays où les fils et les filles de étaient assurés de remplacer leurs parents aux postes importants, rien n'avait de sens. Or essayer de penser l'insensé était chose abrutissante. »

Les culs-reptiles sortent de leur apathie habituelle et se révolte contre l'impéritie gouvernementale qui leur inflige un quotidien insupportables : pénuries d'électricité et d'eau courante, manque de logements en dur, toilettes collectives méphitiques, eaux stagnantes, dysenterie généralisée. Mais la révolte collective est violemment réprimée, poussant un de ces culs-reptiles à tenter sa chance individuellement. Bourna Kabo répond à une annonce de la Fédération nationale de natation qui recherche un nageur pour les J.O., il est choisi. Il faut marquer les esprits en glanant une médaille dans une discipline inattendue pour un Africain, histoire de susciter l'intérêt international et d'attirer les touristes. Sauf qu'il ne sait pas nager. Sauf que les J.O. sont dans quatre mois.

S'en suit une farce enlevée, avançant à un rythme soutenu multipliant les péripéties picaresques ( presque trop d'ailleurs ). On est clairement dans l'absurde tellement tout est insensé. La plume a de la verve et on rigole souvent mais l'humour sarcastique est terriblement grinçant. Si l'auteur développe une belle tendresse pour son héros candide - qui croit en son destin sans voir comment il est instrumentalisé par le pouvoir en place - la satire politique est nette, radiographie impitoyable de toutes les dérives de États africains autoritaires : népotisme, cynisme et corruption, la charge est frontale, sans doute inspirée par l'expérience ministérielle de l'auteur ( qui a été ministre du développement touristique, de la culture et de l'artisanat de 2017 à 2018 au Tchad ).

La parole politique démagogique produit du rêve puis des désillusions. La fin est cruelle, mais émouvante avec ses accents voltairiens « il faut cultiver notre jardin » pour combattre l'inévitable pessimisme née du désenchantement.
Commenter  J’apprécie          1050



Ont apprécié cette critique (98)voir plus




{* *}