Quand je suis aux États-Unis, je pense tout le temps que je suis noir. Quand je suis à Paris, je pense tout le temps à ce que je vais manger. Je ne pense presque jamais que je suis noir sauf pour remarquer que je n'y pense pas. Paris m'a offert le degré de liberté que je cherchais.
Le plus raisonnable aurait été de trouver un autre emploi jusqu'à la rentrée universitaire. Mais je pensais qu'il y avait mieux à faire dans la vie que de travailler, travailler, travailler jusqu'à s'effondrer. Je n'étais pas convaincu par le slogan "Time is money". Et d'après ce que je savais, il n'avait pas été inventé par un Français. Pour moi, le temps avait plus de valeur que l'argent.
À Paris je suis invisible - merveilleusement.
Je me rends compte que je vois Paris avec les yeux d'un jeune amoureux, et je me suis souvent demandé si les Parisiens pris par le quotidien avaient conscience de leur chance. Peut-être faut-il avoir les lunettes teintées de rose d'un étranger, d'un touriste permanent, pour voir au-delà de l'ordinaire et de la monotonie des jours. Les yeux du désir distinguent mieux le spectaculaire et le particulier, les rendent plus présents, et donnent à l'ordinaire une nuance magique.
Paris était un refuge où je pouvais abandonner une certaine façon d'être, le lieu où je pouvais être qui je voulais, débarrassé du fardeau de celui que je suis censé être.