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Critique de Escapist


Pompéi… tragédie historique, témoignage bouleversant, cataclysme malheureux. A dire vrai, les expressions ne manquent pas pour décrire le choc, historique et géographique, que provoqua l'éruption grandiose du géant Vésuve. Un drame monumental destiné à prendre scène dans des mélodrames dignes de Sophocle ou d'Eschyle et que la littérature a pourtant boudé. Invraisemblablement, l'Antiquité peine à prendre possession du milieu littéraire alors que de nouveaux romans sortent quotidiennement. Aussi c'est avec un certain mal-être que l'on entame la lecture de l'ouvrage « Pompéi », plongeant dans un monde peu décrit et surtout peu mis en scène auparavant. Qu'importe ! Robert Harris est là pour rectifier le tir et saluons cet auteur de nous offrir une si belle épopée et course effrénée contre la mort d'un épisode marquant et pourtant injustement inexploité de l'Histoire mondiale.

Avant toute chose, il faut bien l'avouer, lorsque l'on décide d'entamer la lecture de ce roman c'est que l'on s'attend indéniablement à frissonner et haleter sous la plume effrénée de l'auteur, revivant avec passion et appréhension le tragique ensevelissement de la colonie romaine. On n'escompte donc pas plonger dans une histoire poussée, brodée sur le quotidien rude des Romains et plus particulièrement d'un ingénieur des eaux, sur un fond de menace vésuvienne. Et c'est néanmoins sur ce fil conducteur que s'entame l'histoire de Pompéi. En tant que lecteur, on immerge immédiatement dans les tracas du nouvel aquilus – Attilius – l'ingénieur en question, tout fraîchement arrivé de Rome et qui doit s'imposer aux yeux de sa nouvelle équipe. En cette antique époque, les temps sont sévères et les moeurs dépravées, pour le plus grand bonheur de chacun. C'est donc avec de manifestes difficultés que le citadin Attilius prouve son mérite et ses valeurs aux yeux hostiles des provinciaux. Envoyé par l'Empereur en personne, Attilius honore une longue lignée d'aquilus sur l'Aqua Augusta – l'aqueduc immense desservant la baie de Naples – dont il doit assurer le bon fonctionnement et parer au moindre dysfonctionnement. Avec une ardeur visible, l'auteur s'empresse de décrire toute une série de manoeuvres techniques destinées à retrouver le problème de l'aqueduc et réparer celui-ci. Heureusement, et alors qu'en tant que lecteur on pressent les temps morts et fastidieux de descriptions lassantes, Robert Harris rompt la monotonie de ces passages par l'intervention de personnages au caractère bien trempé. En parallèle, l'action se met en place avec la famille d'Ampliatus, ancien esclave affranchi et désormais personnage incontournable de la scène politique romaine. Puissant, cet homme l'est tout autant par son physique d'ancien travailleur que son tempérament d'acier et sa fortune grandissante. Il est l'archétype de la réussite sociale basée sur l'opportunisme et l'infamie. Un personnage abject dès sa première apparition, empreint de vengeance de son passé servile et encore marqué par l'abus de sa personne à cette époque. Au final, il représente idéalement les personnages vils et méprisables que l'Empire romain a pu couver, cupides jusqu'à la moelle et étrangers à toute forme de compassion. Tandis que des protagonistes viennent briller par leur jalousie, leur avidité et leur cruauté, d'autres rafraîchissent l'ambiance sombre et lourde par un caractère juvénile et bon. C'est le cas d'Attilius mais aussi de Corelia, la jeune fille d'Ampliatus que l'on destine immédiatement à combler la solitude de notre jeune ingénieur. En peignant, à la limite de la caricature, des personnages odieux et arrogants, Robert Harris renforce la bienveillance et la noblesse de coeur des autres. Enfin, une troisième gamme de personnages anime ce roman : celles des figures historiques qui sont ici mises en scène avec une assurance qui frôle à plusieurs reprises la véracité historique. Ainsi en est-il de Pline, surnommé a posteriori l'Ancien, qui s'inscrivit à jamais dans l'Histoire non pas tant par ses écrits que sa mort héroïque. Au nom de la science, de la curiosité et du devoir de tout Romain, il s'est élancé vers une mort certaine avec une bravoure à toute épreuve honorée par l'auteur.

Ainsi ce « Pompéi » pourrait n'être qu'une duperie destinée à produire des bénéfices en surfant sur la vague de cet épisode funeste. Il n'en est rien à vrai dire car Robert Harris manifeste d'un réel travail de recherches approfondies. Même sans ses remerciements, et dieu sait qu'ils sont nombreux, la qualité du savoir est indéniable pour quiconque connaît un minimum de l'Histoire de l'Empire. On pourra néanmoins, à ce jour, reprocher à l'auteur de s'être laissé influencé par les recherches affirmant que l'éruption eu lieu le 24 Août. En réalité, les historiens et archéologues tentent finalement à replacer l'évènement en octobre en raison de nombreuses preuves témoignant d'une date postérieure. On pardonnera cependant à l'auteur son erreur qui aurait de quoi effrayer les honorables défenseurs de la date du 24 octobre. Quoiqu'il en soit, pour le reste de l'ouvrage, les valeurs sont plus sûres et historiques. Ainsi, les moeurs sont soigneusement travaillées et décrites avec une précision remarquable. du quotidien cruel des esclaves et des activités sordides des citoyens, de l'opulence abusée de certains, des techniques artisanales et du fonctionnement des aqueducs et de leurs dépendances, rien n'est épargné en détails qui enrichissent inévitablement la culture de qui n'y est pas familier. Mais c'est surtout la description impressionnante de l'éruption du Vésuve qui force le respect. On se prend dans l'action en dévorant des périphrases et autres métaphores. Telles les nuées ardentes, le style s'emballe et s'enflamme pour un réalisme encore plus poussé. Grâce à des études approfondies de la géologie de la part de l'auteur, les mystères de l'explosion sont décrits avec une justesse incroyable ; Robert Harris se substituant à ses personnages pour rendre compte de leurs émotions, de leur effroi et de leur curiosité naïve. Puisqu'encore inconscients des effets terribles d'un volcan, les citoyens posent un regard candide sur cette montagne terrifiante, avec néanmoins une précision savante dans les descriptions. C'est notamment grâce au personnage de Pline que l'on prend conscience de l'éclatement dévastateur du Vésuve.

Grâce au compte à rebours fournit par les chapitres (qui prennent le nom des horaires latins), Robert Harris tient en suspens son lecteur, ce-dernier connaissant déjà le destin inévitable des personnages mais curieux de voir quelle tournure va prendre l'histoire. Néanmoins, si l'on rend justice à l'auteur pour la qualité historique de son oeuvre, celle-ci se concentre trop finalement sur les problèmes techniques rencontrés par Attilius sur l'aqueduc. Certes, c'est avec plaisir que l'histoire se fracture entre les différents personnages, à l'image d'un film, mais au final le côté thriller prend le dessus sur l'éruption volcanique qui ne semble être qu'un prétexte dans les deux premiers tiers du livre. En effet, en plus de son statut d'ingénieur en chef, Attilius prend des airs de héros en tentant de secourir un esclave pour les beaux yeux doux de Corelia et se lance dans une enquête afin de découvrir les raisons mystérieuses de la disparition impromptue de l'aquilus précédant. Mais tandis qu'Attilius agit comme une sorte de détective à ses heures perdues, en tant que lecteur on ne peut s'empêcher de remarquer le manque cruel de prise de conscience des personnages de la catastrophe à venir, comme ce fut hélas le cas. C'est donc dans un monde cruellement insouciant que l'histoire prend place. On remerciera néanmoins l'auteur de ne pas avoir cristallisé les actions sur une seule scène mais d'avoir fait interagir divers personnages issus de plusieurs villes voisines. En démarrant à Misène, en passant par Naples et Herculanum, puis en mentionnant Stabies et en achevant par Pompéi, l'auteur propose un point de vue éclaté de la catastrophe. Un choix judicieux qui permet de mieux constater l'impact de l'éruption. Les va-et-vient incessants entre ces villes offrent d'ailleurs une cadence soutenue à l'ouvrage.

Finalement, le moment le plus intense est définitivement celui de l'éruption, une catastrophe que l'auteur a fait sienne en la dirigeant avec une dextérité époustouflante. Mais plus encore que les descriptions fantastiques des lourdes fumées entêtantes, des pluies meurtrières et des corps moulés, c'est le changement brutal de points de vue qui retient l'attention. Avec une mise en scène cinématographique de l'action, le lecteur est emporté dans le feu de l'action, assistant à la catastrophe avec un regard à hauteur d'homme. Ce n'est donc pas avec une vision panoramique que le carnage est décrit, mais bien avec une vue à échelle humaine, un regard de pauvre pompéien terrifié et anéanti par l'impuissance. Et alors que tout le restant du livre était écrit par-rapport au point de vue d'Attilius ou d'un autre personnage, désormais c'est avec une narration purement externe que se clôture le roman, un recul de la part de l'auteur qui accentue le tragique de la situation et le mystère. Car si Attilius et Corelia prennent les traits de héros au fil de l'ouvrage, on ne sait quel sort leur réserve l'auteur. On s'attend donc à assister tristement à leur fin tragique tout en espérant que Robert Harris trouvera une parade, une échappatoire. Ce recul brutal de point de vue, une fois la dernière nuée passée, soutient le doute : de simples personnages, Attilius et Corelia deviennent des êtres légendaires. Alors que Pompéi et ses habitants se figent dans un sommeil éternel, un moment de l'Histoire se pétrifie. Des doutes planent et des légendes naissent grâce aux témoignages, notamment de Pline le Jeune, affirmant l'impossible : certains, par une incroyable chance ou un hasard mystique, auraient survécus, renaissant de leur enveloppe tellurique. A l'image de ces fables, le roman se clôture sur un point d'interrogation sur le sort réservé à nos deux héros.

Indéniablement, un ouvrage écrit par un auteur sachant ce qu'il dit, s'inspirant de faits réels pour broder une romance tragique. Un roman exotique nous plongeant dans un épisode grandiose et dévastateur avec des allures d'épopée. On applaudit donc l'utilisation de personnages et de faits historiques dans un cadre romancé, la véracité des dires agréable à la lecture, le contournement de la facile héroïsation des faits et l'admirable description de l'éruption et de la fin tragique de Pompéi. La colonie retrouve toute sa vitalité d'antan sous la plume instruite de Robert Harris, et le lecteur se promène allègrement dans une cité retrouvant tout de sa superbe. L'auteur use avec subtilité des vestiges retrouvés (comme la villa Calpurnia) et du témoignage poignant de Pline. Pour autant, le manque de rappels plus récurrents du Vésuve dans la première partie de l'ouvrage et l'éloignement entre le lecteur et les personnages empêchent de s'immerger complètement dans l'histoire. C'est seulement dans les trente dernières pages que l'on savoure pleinement l'action et les descriptions. Mais pour l'exotisme d'un monde antique encore peu décrit dans la littérature et un final épique, on encouragera donc la lecture de « Pompéi » de Robert Harris qui constitue, indubitablement, un bon ouvrage historique romancé.
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