Whyborne & Griffon, tome 3 : Asile

— Pourquoi se souviendrait-il de mon visage ?
Griffon fit volte-face, et l’aspect sauvage qui avait pris possession de ses traits me fit faire un pas en arrière, inquiet.
— Peut-être se serait-il souvenu de moi si j’avais été nu, penché en avant avec mes mains au niveau des chevilles, afin que ses sbires puissent me sonder !
— Qu… Quoi ? tentai-je de dire.
Je n’arrivai même pas à poser cette question, mes poumons étaient vides d’air, la pièce nous asphyxiait, le monde entier devenait trop étroit.
Ses lèvres se retroussèrent en une grimace de dégoût, peut-être destinée à Zeiler, peut-être à lui-même.
— Cela faisait partie de « l’inspection », afin de certifier que j’étais fou.

Le gredin s’esclaffa d’un rire atroce, et je me retournai sur le dos juste à temps pour le voir me charger, la lame prête à m’empaler.
J’attrapai le seau de goudron et le lui jetai de toutes mes forces, criant le nom secret du feu. Le goudron s’embrasa, de petites bulles collantes frappant mon assaillant. Ce dernier poussa un cri réellement terrifiant, et son couteau lui échappa des mains tandis qu’il tentait désespérément d’éteindre les flammes. Le goudron collait à sa peau, s’étalant avec chacun de ses mouvements, et quelques secondes plus tard, mon agresseur agonisait en se convulsant sur la jetée.

Le corps de l’homme tatoué gisait au pied des caisses. Un trou béant au milieu de son torse indiquait où Griffon l’avait touché. Son visage, mais également ses bras, étaient recouverts de tatouages, se prolongeant jusque sous ses manches relevées. Griffon s’agenouilla près de lui et souleva délicatement une de ses manches.
— Ah. C’est bien ce que je pensais avoir vu.
— Quoi ?
Il fit pivoter le bras flasque, me dévoilant ainsi les tracés d’encre qui le recouvraient. L’avant-bras du cadavre arborait le même symbole en forme d’œil que le dessin que Griffon avait trouvé dans le bureau de Bixby.
— Ce n’était pas le fruit d’une mauvaise rencontre, dis-je. Il y a un lien avec le meurtre de Bixby.
— J’en ai bien peur.

— Ah ! Arrête ! ordonnai-je hilare.
Il n’en fit rien, et je trouvais donc raisonnable de contre-attaquer d’un coup d’oreiller sur sa tête.
— C’est pas juste, s’exclama-t-il en tentant de me désarmer.
Et nous nous retrouvâmes à lutter et à rire comme deux petits garçons pour qui rien d’autre au monde n’avait d’importance. Je parvins à le rouer de coups quelques secondes de plus, avant qu’il ne me plaque sur le lit. Il m’attrapa la mâchoire et m’obligea à le regarder.
— J’aime t’entendre rire.

J’avais besoin de décrire un glyphe pour dominer l’air, mais Celui qui réside dans les profondeurs jouissait de ses propres arcanes. Ainsi, nous invoquâmes le vent en chantant à l’unisson.
Le vent hurla dans le couloir derrière moi, m’ébouriffant et faisant claquer les pans de la robe de chambre autour de mes genoux. Je rassemblai les courants aériens et je donnai un violent coup de poing.
Les hommes furent projetés en arrière en un fracas d’os brisés. La porte en métal fut arrachée, percutant ceux qui avaient pris la fuite, et l’étage résonnait à nouveau de cris déments et de plaintes.