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Critique de belette2911


— Holà, Tavernier, à boire ! Servez-moi quelque chose de bon, de fort, de puissant, de goûtu. Pas une infâme piquette !

— Alors, madame, je vous conseille de boire à cette bouteille, de poser vos lèvres sur ces clairons de l'après-midi, vous m'en direz des nouvelles. Et puis, je suis Bertrand Tavernier, le directeur de la collection, pas le serveur.

— Excellent ce breuvage, Tavernier… On sent qu'il a pris son temps de murir en fût de chêne et que l'auteur a bien fait son travail, qu'il a su faire décanter son récit et lui additionner tout ce qui fait un grand cru.

— Vous m'avez demandé de vous servir de la qualité, madame, ce que j'ai fait en vous proposant ce grand-cru Western de chez Ernest Haycox, un maître en la matière. Ceci n'est pas un Western de gare. Vous sentez sa longueur en bouche ? Un roman que vous n'oublierez pas de sitôt, croyez-moi !

— En effet ! Il a une odeur de grandes plaines sauvages, un soupçon de Black Hills, de la Frontière, si proche, une odeur de poudre à fusil, de cheval, de sueur, de cuir des selles, de poker, des bagarres dans le saloon, du sang, de la trahison… Oh, des indiens qui galopent dans la bouteille !

— Bien sûr qu'il y a des indiens, sinon, ça manquerait de corps et vous avez sans doute souffert avec tout les corps, sur la fin… Vous remarquerez que les personnages principaux, qui composent de divin nectar, ont été travaillés, taillés avec amour, blessés, aussi, mais cela forge le caractère.

— Oh, j'ai ressenti un gros faible pour le mystérieux Ken Shafter : ses fêlures, ses zones d'ombre, la violence intérieure qu'il trimballe, son passé dont qu'on ne nous dévoilera qu'à petites doses, ses allures de gentleman, ses envies de vengeance.

J'ajouterai aussi que la jeune Josephine Russell est réussie, elle aussi, et à l'opposée des femmes que l'on a tendance à croiser dans des Westerns de mauvaises factures. Joséphine, c'est une jeune femme complexe, libre et elle n'a rien d'une femme soumise. de plus, ses jugements sur Shafter sont pertinents.

— Les personnages secondaires ne sont pas en reste non plus !

— Que nenni, monsieur Tavernier ! Même les personnages les plus secondaires, que nous ne croiserons qu'une seule fois, sont brillamment mis en place et ils nous dévoilent un véritable pan de la vie à cette époque (les deux tenancières des hôtels en sont des exemples vivants), non loin de cette fameuse Frontière qui recule pendant que les autres avancent.

Même son Méchant de l'histoire est soigné et l'auteur nous brossera un portrait qui n'est ni tout blanc, ni tout noir, mais tout en nuance de gris, comme il le fait pour le général Custer, dont les différents protagonistes nous dresserons un portrait à charge ou à décharge, sans lui trouver des excuses ou tout mettre sur son dos.

Mon dieu, Tavernier, et cette plume ! Elle m'a emportée dans la vie courante de la garnison d'un fort, j'ai vécu avec ses soldats, suivi leurs rituels, eu faim et froid avec eux, ressenti l'épuisement des longues chevauchées et puis, ce climat du Dakota, qu'elle merveilleuse manière qu'a Haycox de le présenter.

Ce temps qui change constamment, qui passe de la chaleur la plus accablante au vent le plus glacial, sans prévenir. La plume de Haycox nous le démontre bien par des petits épisodes de la vie quotidienne. Niveau décors, il n'est pas en reste non plus. On les voit, on les vit.

En fait, dans ce Western haut de gamme, on peut dire que toute l'action est sur la fin du récit, mais le talent de l'auteur fait que, ce qu'un cinéaste considérerait comme des moments “inutiles” sont absolument essentiels dans le récit et l'auteur ne s'en prive pas, pour notre plus grand plaisir.

Un roman Western fort, bien construit, bien raconté, des personnages travaillés, réalistes, ou le plus insignifiant a son rôle, où aucun n'obéit aux règles immuables du genre et qui nous conte une bataille dont on a entendu beaucoup parler mais dont on ne sait pas grand-chose, au final, et dont il est facile, avec le recul, de juger.

Sa description de la bataille de Little Big Horn est des plus réaliste, on s'y croirait, même si nous n'aurons qu'un seul point de vue, celui du groupe de Shafter et pas celui de Custer ou des Sioux.

De plus, si quelqu'un a un jour pensé – ou lu – que la bataille de Little Big Horn avait été un combat rapide, engagé et perdu en fort peu de temps, et bien, il avait tout faux : la bataille a au moins duré un jour et demi (et c'est long quand tu crèves de soif ou de douleur !!).

L'auteur nous décrit aussi, au plus juste, la panique des soldats, dont certains n'avaient jamais été au feu, ainsi que l'indécision dont font preuve certains officiers ou soldats, mais aussi le courage dont certains firent preuve !

— Et bien, si quelqu'un avait encore un doute sur le fait que la Belette a aimé ce western, ses personnages, son histoire, ses combats violents à la fin…
— Hé, au fait, M'sieur Tavernier, tu aurais pu appeler ce roman "Kern le survivant" !
— Tu as regardé trop le Club Dorothée, toi.
— Oui, sans doute…
— Je te ressers un verre de la cuvée "L'Ouest, le Vrai" ?
— Sans hésiter, Bertrand, mais pas tout de suite si tu le permets, laisse un peu celui-ci reposer, c'était du costaud, on n'en boit pas tous les jours au petit déjeuner !
— En effet… Bien que j'ai connu une polonaise qui en buvait au petit-déjeuner !
— Toi, tu as trop regardé les Tontons, toi !

Pour citer une conclusion de Bertrand Tavernier qui résume ce que je voudrais vous dire mais que je n'y arrive pas tant les mots se bousculent dans ma tête : "Portrait magnifique, à la fois mesuré et impitoyable, généreux et lucide. […] Haycox nous restitue une réalité complexe, âpre, déroutante, avec une vérité plus grande que certains historiens qui reconstruisent la réalité de manière abstraite."

Je dirai plus sobrement "Putain, quel grand roman western qui rend ses lettres de noblesse au genre trop souvent décrié et méprisé !".

PS : Mes excuses les plus plates à monsieur Bertrand Tavernier, directeur de cette belle collection "L'Ouest, le vrai" auquel je prête des dialogues imaginaires avec moi pour cette chronique.

(4,5/5)

Lien : https://thecanniballecteur.w..
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