Citations sur À l'est des nuages : Carnets de Chine (17)
Voeux chinois de nouvel an :
Que les puces d’un millier de chiens galeux infestent les fesses de celui qui te gâcherait une seule seconde de l’année et que les bras de cet abruti deviennent trop lourds pour qu’il puisse se les gratter.
Dans mon couple, on partage tout, sauf les poires ! C'est comme ça. Ma Xiaomeng est intraitable sur ce point. Si j'essaie de lui chaparder un quartier au moment où elle s'en épluche une, elle, d'habitude si calme, si raisonnable, se transforme en véritable furie, devient dangereuse, se jette sur moi, prête à tout pour m'ôter de la bouche le morceau de fruit défendu.
Tout ça parce que, en chinois, partager ou diviser se dit "fen", que poire se dit "li" et que "fenli" veut dire séparer.
4 août 2005
Ma Xiaomeng,
Ma part de Chine.
Ce que je préfère chez elle ?
Ses yeux en trait d'union
Entre son monde et le mien.
Avez-vous déjà été invité au restaurant, par une Pékinoise incroyablement belle et dont vous êtes éperdument amoureux, à manger des demi-têtes de canard coupées dans le sens de la longueur, juste avant qu'elle vous annonce qu'elle vous aime elle aussi et qu'elle souhaite faire sa vie avec vous ?
Eh bien moi, oui !
18 juin 2005
8 septembre 2007
Yunnan "Au Sud des Nuages". Avec un nom pareil, cette province ne peut donner que des artistes. J'en tiens pour preuve cet après-midi tiède que je dépense assis sur un tabouret bas et rustique, dans l'atelier d'un grand -père habillé comme la nuit et dont les doigts usés fabriquent depuis l'enfance des ombrelles de bambou et papier imbibé d'huile. Il me livre ses secrets. Partage son savoir-faire. Termine son ouvrage de quelques traits de pinceau qui donnent jour à un paysage de montagnes baigné dans le rose lavé d'un coucher de soleil et me demande gentiment si nous savons en France en faire de pareilles. Je réponds que non, pas vraiment, pas tout à fait.
"Alors celle-ci est pour toi", me dit-il en me tendant l'ombrelle.
Il déplie ses jambes, se lève doucement, pose ses mains sur ses hanches, dessine deux ou trois cercles avec son bassin, se rince la gorge avec un reste de thé froid puis jette un oeil par la fenêtre ouverte comme pour s'assurer qu'aucun nuage n'est entré aujourd'hui encore dans son carré de ciel bleu.
Sa journée est comblée. La mienne également.
29 août 2006
Elle a sur l'avant-bras gauche
Une petite veine bleue
Qui ressemble
A une minuscule voie de chemin de fer.
Je prendrai demain
L'expresse Shanghaï-Pékin
Jusqu'à son coeur.
19 mai 2006
Lorsqu'il se sent fatigué de se voir si nombreux, si bruyant parfois, ce peuple ébouriffé et sage sait mieux que quiconque trouver le calme et le repos dans une gorgée de thé vert, le souffle d'un éventail, la taille d'une plante verte, le vol d'un cerf-volant ou le chant d'un oiseau en cage.
17 juin 2007
Le cul dans l'herbe, à l'ombre d'un saule pleureur centenaire qui ondoie sagement sous un ciel bleu roi à la Nicolas Poussin, je regarde en rêvassant un groupe s'exercer au wushu (kung-fu) et répéter sans lassitude, sans colère et en silence ces gestes lents, précis, retenus, qu'ils destinent au vent ou à d'improbables ennemis.
Il semble que tout l'art de vivre chinois réside dans cet art martial chinois. User la force de l'autre, son énergie, la recevoir et s'en servir pour vaincre en s'économisant.
5 mars 2007
Ce soir encore,
Ses cheveux noirs et défaits
Dessinent comme à l'encre,
D'incompréhensibles caractères,
Sur le blanc-seing
De mes nuits sans sommeil.
Des gangs de grand-mères hautes comme trois pommes, pauvres à fendre l'âme, puisque leur retraite -- quand elles en ont --- n'équivaut plus à rien, font la manche sur les parkings des grands supermarchés ou proposent, pliées en équerre, de pousser les caddies des clients en échange de leur ticket de caisse. Elles le revendront sitôt après, pour presque rien, à des salariés débrouillards et dégagés de tout scrupule. Ils se les feront rembourser en note de frais qu'ils reviendront ici en partie dépenser. Rien ne se perd, tout se transforme dans la grande chaîne alimentaire des hypers.