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Critique de boudicca


Pour la deuxième année consécutive, les trois maisons d'édition qui composent le collectif des Indés de l'Imaginaire mettent en avant en début d'année trois jeunes auteurs qu'ils estiment prometteurs. Après avoir été séduite par le roman de Thibaud Latil-Nicolas (« Chevauche-brumes » proposé par Mnémos, je me suis penchée sur celui édité par ActuSF, dont les retours sur la blogosphère sont pour le moment plutôt mitigés. Colin Heine y met en scène un monde dont le cours normal a été perturbé par l'apparition de la vape, un brouillard aux propriétés étranges qui a recouvert la planète et provoqué un bouleversement sans précédent. Tant bien que mal, les survivants se sont acclimatés dans les quelques poches d'air qui subsistent et ont reconstruit sur les ruines de l'ancien monde. Bon, en réalité on retrouve globalement le même fonctionnement que celui de l'Europe du XIXe (du moins pour la partie ouest), avec notamment deux nations entre lesquelles les tensions ne cessent de monter : la Germanie et Gallande (comprenez évidemment la France). le cadre n'est toutefois pas totalement le même et peut faire penser, dans une moindre mesure, au « Paris des merveilles » de Pierre Pevel. Les transports se font ainsi à dos de gargouilles qui survolent jour et nuit le ciel de la capitale qui s'est rempli de monuments extraordinaires construits grâce à de nouveaux matériaux apparus avec la vape. C'est dans ce contexte qu'on fait la connaissance de Bastien, un ethnologue qui va se retrouver, par le plus grand des hasards, entraîné dans une sombre histoire d'espionnage qui va mettre en péril non seulement sa propre vie mais aussi celles des membres de son entourage. Son enquête va le mener à côtoyer un certain nombre de factions toutes plus infréquentables les unes que les autres, qu'il s'agisse de malfrats, de détectives ou de membres d'une organisation secrète spécialisée dans les assassinats. Sans compter cette créature effrayante et encore non référencée hantant dans les forêts des Vaineterres où se prépare une nouvelle expédition qui s'annonce lucrative mais périlleuse.

Le roman est organisé en trois parties distinctes de taille à peu près égales mais qui évoluent chacune à un rythme différent. La première permet d'introduire les nombreux acteurs et de poser les bases du récit : il s'agit clairement d'une phase d'exposition et, à ce titre, elle peut sembler un peu longue. L'intrigue met du temps à se mettre en place et on peine dans un premier temps à comprendre où veut en venir l'auteur. Cela dit, entre les magouilles qui tournent autour de l'accident de transport dont est victime Bastien, et la préparation de l'expédition dans les Vaineterres afin de récolter des échantillons d'espèces inconnues et de mieux cartographier la région, on n'a guère le temps de s'ennuyer. La seconde partie gagne en rythme à mesure que les investigations des personnages progressent et qu'on commence à cerner les enjeux dont il est question, même si toutes les pièces du puzzle ne sont pas encore rassemblées. La troisième est quant à elle un condensé d'action qui souffre du problème inverse de celui de la première partie : tout y est à la fois beaucoup trop rapide, mais surtout trop répétitif. L'essentiel de l'action prend place à bord d'un immense dirigeable (qui fait immédiatement pensé au Titanic de part son gigantisme, sa réputation et bien sûr son destin tragique), et il faut avouer que le décor est, au premier abord, plutôt sympathique. Seulement cette conclusion se limite à une succession de confrontations qui nous apportent, certes, quelques réponses, mais laissent tout de même en suspens un certain nombre d'autres interrogations. C'est d'ailleurs le reproche que l'on peut faire à l'ensemble du roman, car si l'univers mis en scène est effectivement intriguant, beaucoup des aspects évoqués par l'auteur ne sont qu'à peine effleurés. C'est le cas notamment des Vaineterres que l'on ne visite qu'à une seule (brève) occasion et dont il ne sera plus vraiment question ensuite. C'est aussi le cas des mouvements ouvriers de l'époque sur lesquels l'auteur s'attarde à plusieurs reprises sans que cela n'ait de véritables incidence sur le récit (alors qu'il y aurait pourtant eu matière à développer le sujet qui reste trop rarement évoqué).

Si la lecture demeure tout du long relativement appréciable (le style de l'auteur est agréable et les rebondissements réguliers permettent de maintenir l'intérêt du lecteur éveillé), on ne peut cela dit s'empêcher de relever un certain nombre de maladresses. Outre quelques problèmes de rythme et les impasses faites sur certains sujets, le principal reproche que l'on peut faire au roman tient à mon sens essentiellement à ses personnages, à plus spécifiquement à son protagoniste, Bastien, qui n'a en fait de personnage principal que le nom. Si c'est bel et bien par lui que tout commence, son rôle dans l'histoire reste tout de même très limité, et ce pendant la majeure partie du roman. Sans être particulièrement désagréable, le personnage agace par sa naïveté confondante mais aussi et surtout par sa passivité. C'est bien simple, il n'y aurait tout simplement pas d'histoire du tout si ses proches ne le convainquaient pas à chaque fois qu'il y a effectivement anguille sous roche. Ni très téméraire ni très perspicace, on peine à compatir aux épreuves endurés par cet homme bien sympathique mais d'une grande mollesse. Les membres de son entourage sont un peu plus dégourdis, mais tous ne bénéficient malheureusement pas d'un traitement soigné. Parmi les « acolytes » du héros, j'ai personnellement été assez sensible à Agathe, la vieille domestique très terre-à-terre et à la langue bien pendue sans qui il n'y aurait tout simplement pas d'histoire puisque c'est elle qui, chaque fois, pousse Bastien à se bouger. Les autres sont loin d'être antipathiques, seulement ils sont tellement peu développés qu'aucun véritable lien ne se créé (la palme revenant au personnage d'Angela dont le rôle se cantonne à celui de « caution féminine », alors qu'elle aurait pu avoir un beau potentiel). le roman souffre également de quelques problèmes liés à la forme plus qu'au fonds. On peut par exemple regretter l'absence d'indications typographiques lorsqu'on passe de la narration aux pensées du personnage (ce qui fait qu'on se retrouve à plusieurs reprises à enchaîner une phrase écrite à la première personne et une suivante à la troisième, sans transition). Je reste également dubitative en ce qui concerne non seulement la couverture du roman mais aussi et surtout son titre (d'abord parce que le cadre du récit est essentiellement urbain, et surtout parce que les araignées n'occupent qu'un rôle très secondaire dans l'intrigue).

Colin Heine s'en sort plutôt bien pour un premier roman et met en scène un univers vaporeux prometteur, notamment par son esthétisme. Dommage que le récit soit perturbé par un certain nombre de maladresses ou de lacunes qui gâchent trop souvent le potentiel du texte. Lecture mitigée, donc.
Lien : https://lebibliocosme.fr/201..
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