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Critique de tamara29


Il y a des histoires comme ça qui savent réveiller un je-ne-sais-quoi en nous. Qui résonne en nous bien plus que d'autres.
La fin du monde ou presque. Ce n'est pourtant pas mon style de roman. Je suis plutôt attirée par des romans plus ancrés dans le réel. Et pourtant… Ne nous parle-t-il pas justement du réel, annonçant ce qu'il pourrait advenir dans quelques décennies, ou même avant ? Il faudrait avoir une grande mèche américaine blondasse devant les yeux pour ne pas avoir conscience de la fonte des glaces, du réchauffement climatique, de la déforestation, des abeilles qui meurent, de certaines espèces animales qu'on abat et qui disparaissent peu à peu, et nous qui détruisons la planète, notre planète, un peu beaucoup plus chaque jour… La liste est longue… Alors, ce roman est finalement un roman d'anticipation hyperréaliste, bien plus réaliste que je ne l'avais supposé...
Cette histoire se passe dans le Colorado mais aurait pu se passer n'importe où.

Ce roman est comme un cri d'alerte. Ce roman réveille le petit bonhomme vert qui est en nous de la nécessité de sauvegarde, d'écologie, de consommation raisonnée, raisonnable, responsable avant qu'il ne soit trop tard. Il y a longtemps que l'écolo ne passe plus pour un doux illuminé bohême vivant dans le Larzac avec ses chèvres. Maintenant au-delà du petit pas pour l'homme pour un grand pas pour l'humanité, il faut penser au petit geste quotidien pour un avenir de l'humanité. Avant qu'il ne nous reste plus rien.
Ce roman est de ce fait plein de nostalgie, remémorant cette période qui a été (une période symbolique qui existe pour chacun de nous), et qu'on n'a pas su apprécier à sa juste valeur, pris dans la routine, pris dans cette façon de croire qu'on doit patienter encore un peu, bosser encore, prendre le métro, supporter de suivre tous les matins ces hordes d'autres gens, tels des fourmis, prendre les même pas cadencés, se dire qu'il faudra recommencer la même journée, la ritournelle habituelle, mais que, demain, dans un an, on l'espère, ce sera mieux, plus facile, parce qu'enfin, on commencera à vivre. Oui, demain, c'est sûr, on commencera vraiment à profiter de la vie.
Ce roman est un cri d'amour, tout en finesse, en subtilité, en poésie, plein de rage, de morts, de survivants qui continuent malgré tout, malgré tout ce qui les entourent et plus encore malgré tout ce qui leur manquent à présent, et surtout ces êtres chers disparus, et qui leur rappellent à chaque instant le monde dévasté, implosé.
Pourquoi vivre encore lorsqu'ils ne leur restent plus rien ? Lorsqu'il n'y a plus personne autour d'eux, alors qu'ils ne sont plus que deux, perpétuellement aux aguets, à penser les autres, ces ‘'autres'' survivants, comme des ennemis qu'il faut potentiellement –que dis-je ?- obligatoirement- abattre pour sauver sa peau ; à se battre contre des bandes qui cherchent leur mort juste pour essayer eux-mêmes de trouver de quoi vivre, ne serait-ce qu'une journée de plus ? A quoi cela rime tout cela ? Pourquoi continuer à vivre dans de telles conditions, avec un tel environnement, s'il faut tuer encore et regarder son voisin d'un oeil suspicieux ?
Bien entendu, je me suis demandée dans quel état d'esprit j'aurais été si j'avais été à la place de Hig, le narrateur ou encore Bangley, son voisin taciturne mais terriblement efficace en mode guerrier redoutable, sans état d'âme. Si je devais les caricaturer grossièrement, je dirais que ces deux personnages forment peut-être un tout : l'esprit et le corps ou encore le sensoriel et le pragmatique. Aurais-je tenu toutes ces années avec seulement en moi cet instinct de survie ? Avec juste dans le coeur ces images de ma vie d'avant, qui donnent forcément un petit pincement au coeur à chaque fois qu'elles défilent sous les paupières comme de vieux polaroids jaunis ? Me serais-je dit que cela valait encore le coup ? Aurais-je fait comme eux, par instinct, à continuer de me battre, respirer encore par habitude, parce qu'on ne sait pas faire autrement ? J'imagine que j'aurais été plutôt Hig à regarder au loin, à guetter un bruit, une lumière non hostile, à regarder les étoiles, à espérer qu'il y ait d'autres personnes à qui parler, avec qui éprouver des émotions, avec échanger un sourire. C'est sûrement cela qui nous fait tenir, finalement, cet espoir qu'on garde en nous, cet espoir chevillé au corps et à l'âme. Tel des Robinson Crusoé espérant croiser un Vendredi.

J'ai ressenti tout un tas d'émotions à la lecture de ce premier roman de Peter Heller. Sourire, frisson, nostalgie, réveil citoyen. Et c'est justement parce qu'il a réussi à la fois à me plonger dans une histoire, à me faire apprécier les personnages mais aussi à me faire réfléchir, à analyser le monde actuel, ou encore notre vie de tous les jours, qu'il en devient un roman fort qui mérite ses étoiles. Un roman qui ne se contente pas d'être catalogué dans la SF, d'anticipation écologiste et humaniste. Il est aussi terriblement d'actualité, collant malheureusement à la réalité d'aujourd'hui, rappelant les informations climatiques de plus en plus fréquentes et sombres, rappelant que nous sommes peu de choses.

Ce roman nous fait aussi méditer sur notre façon d'appréhender le quotidien, méditer sur les valeurs, l'importance des interactions et tout simplement, sur le sens de la vie. Comprendre que sans l'autre on ne peut vivre, on ne peut avoir le goût de vivre, à moins d'être immunisé, un Terminator sans âme. Comprendre que sans l'autre on n'aurait pas autant conscience de nous-mêmes, de ce que nous sommes. Saisir l'importance de ces petits bonheurs du quotidien, la rivière glacée dans laquelle on plonge ses pieds, les étoiles dont on admire les scintillements, les constellations dont on invente des noms, la tomate qu'on a fait pousser dans le potager, notre chien (Jasper ou un autre) qui aura su nous faire nous sentir moins seul, et peut-être surtout l'autre pour qui on aura eu une pensée, un geste.
Ce roman ressemble à un poème qui nous ressemble et nous fend l'âme et nous réchauffe en même temps.
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