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Critique de Baldrico


Merci aux Éditions Calmann-Lévy et à Babelio pour l'envoi de ce livre. Avec mes excuses pour le retard avec lequel je poste cette critique. Il faut dire que le livre n'est ni court, ni simple à critiquer, quoiqu'il se lise assez facilement.
En première intention, le type d'éthique développé dans ce livre n'emporte pas mon adhésion. L'idée de fonder une éthique sur la réalisation de soi et le développement de ses propres capacités me paraît plutôt égocentrée, le relationnel étant pour moi la pierre de touche de l'éthique. Mais je dois avouer que le livre d'Agnes Heller m'a poussé à réexaminer cette position.
Disons d'abord un mot de l'auteur. Née en 1929, juive hongroise ayant échappé in extremis aux persécutions de 1944, elle s'oriente après-guerre vers la philosophie et devient la disciple du philosophe marxiste Georg Lukacs. Réduite petit à petit au silence par le régime communiste hongrois, elle émigre aux États-Unis, où elle obtient la chaire de philosophie à la New School of Philosophical Research à New York en 1984. Dans les années 1980 et 1990 elle produit plusieurs livres importants centrés sur l'éthique. Dans les dernières années avant sa mort en 2019, elle s'est opposée au régime de Viktor Orban en Hongrie.
Le livre Une éthique de la personnalité est structuré de façon insolite: la première partie présente quatre conférences d'un professeur de philosophie new yorkais sur Nietzsche et Wagner; la deuxième est un dialogue entre deux étudiants ayant suivi ces conférences, Joachim et Lawrence, rejoints par une énigmatique jeune fille, Vera; la troisième est un échange épistolaire entre une étudiante, Fifi, et sa grand-mère, Sophie Meller, à propos du dialogue précédent, mis par écrit par Lawrence.
Pour comprendre les raisons de ce dispositif un peu compliqué il faut revenir au contenu.
L'éthique de la personnalité postule que pour adopter une position morale il faut préalablement s'être choisi comme personne morale. Il faut faire le choix de soi-même, de sa propre existence comme bonne. C'est un choix définitif qui prend pour modèle les grands hommes, les grandes personnalités, celles qui ont réalisé de grandes choses, comme Napoléon, Goethe ou Marx. Cette attitude se rapproche beaucoup de l'amor fati (amour du destin) de Nietzsche. En devenant ce que nous sommes, nous forgeons notre destinée, nous l'aimons dans tous ses aspects jusqu'au point où nous serions prêts à la revivre indéfiniment (mythe de l'éternel retour). Nietzsche avait cru trouver dans l'oeuvre de Wagner l'expression artistique de cette philosophie. Mais il a considéré que Wagner l'avait trahie dans Parsifal, où le héros revient à l'idéal du prêtre ascétique judéo-chrétien.
Voilà la substance des conférences. Dans le dialogue, les étudiants se posent la question de la possibilité même d'une éthique de la personnalité. Lawrence pense que c'est la seule possible dans le monde contemporain, tandis que Joachim considère qu'il ne peut y avoir d'éthique sans une loi morale universelle de type kantien. Ils tombent cependant d'accord sur deux maximes qui mettent en jeu les relations à autrui: Ne pas instrumentaliser autrui (Kant) et Préférer subir l'injustice que la commettre (Platon).
Enfin Fifi dialogue avec sa grand-mère à propos de sa relation avec Lawrence. Il y est question de beau caractère, de caractère sublime, et donc des rapports entre esthétique et éthique, et bien sûr de l'amour.
La construction s'éclaire déjà à la simple réflexion que l'auteur parle d'éthique personnelle, individuelle. Donc, adopter un style impersonnel est inadapté au sujet: il faut mettre en scène des personnages. En plus, dans ce domaine, il n'est pas de conclusion définitive, ni générale. C'est pourquoi le genre du dialogue et de l'échange épistolaire conviennent bien, après avoir posé les éléments de la question dans les conférences.
Il en résulte malgré tout une certaine confusion et un peu de frustration: nous passons et repassons par les mêmes questions, et nous avons parfois l'impression de faire du surplace ou même de revenir en arrière. Peut-être y avait-il moyen de faire plus court. En plus, les personnages et la mise en scène du dialogue manquent un peu de consistance. On a parfois l'impression d'avoir à faire à des stéréotypes.
Mais on peut aussi apprécier le retour à des genres philosophiques anciens (dialogue, lettres). Et finalement la méthode est assez efficace. Elle oblige le lecteur à se poser les questions des interlocuteurs pour lui-même, donc à se poser des questions philosophiques sur sa propre existence. N'est-ce pas le rôle premier des livres de philosophie?
Cela dit, si je suis convaincu que nous devons affronter nos choix existentiels (et ce n'est pas toujours facile), je n'ai pas été conquis par l'éthique de la personnalité. Même si, en définitive, elle n'est pas égoïste et qu'il est important de se connaître et de se choisir, elle laisse trop peu de place aux relations avec autrui, se limitant à des préceptes négatifs: ne pas faire de tort.
Mais que je ne sois pas enthousiaste sur la voie proposée n'implique nullement que ce livre ne soit pas bon. Il nous met devant des questions fondamentales et il le fait très bien. C'est le principal.
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