La Parole est un acte. C’est pourquoi j’essaye de parler.
Celui qui trahit en secret commet un attentat dans la nuit. Il trahit celui qui a eu confiance, celui qui s'est exposé, celui qui s'est livré. un des attentats les plus déshonorants qui soient au monde, c'est d'abuser du sommeil ; le sommeil, en désarmant l'homme, le livre sans défense à l'honneur de ce qui l'entoure. Et la trahison contracte en pareil cas une laideur spéciale qui révolte le fond de l'âme. Or la confiance est une sorte de sommeil. Celui qui a livré son secret s'endort ans les bras de son ami. Comment exprimer les indignations de son réveil, s'il se réveille, en face d'une trahison ?
Beaucoup de gens trembleraient si les crimes de leurs foyers domestiques leur étaient montrés de loin à la lueur solennelle de l'histoire. Ils ne tremblent pas parce que ces crimes se commettent étroitement, sur un petit théâtre. La petitesse de leur personne et la petitesse de leur vie diminuent à leur yeux les proportions de leur injustice. Et cependant un nain peut commettre un grand crime. Car un grand crime, ce n'est pas un crime qui a de la grandeur ; c'est un crime qui attente à une grande chose. Le crime ne possède la grandeur qu'à l'état négatif. Le mal est une privation.
L'avare pourrait être l'emblème de la fidélité ; il meurt près de son or, comme le chien près de son maître.
Bien des gens, qui ne savent rien, reprochent à la vérité d’être intolérante.
Le premier mot de l'homme médiocre qui juge un livre porte toujours sur un détail, et habituellement sur un détail de style. C'est bien écrit, dit-il, quand le style est coulant, tiède, incolore, timide. C'est mal écrit, dit-il, quand la vie circule dans votre œuvre, quand vous créez votre langue en parlant, quand vous dites vos pensées avec cette verdeur qui est la franchise de l'écrivain. Il aime la littérature impersonnelle ; il déteste les livres qui obligent à réfléchir. Il aime ceux qui ressemblent à tous les autres, ceux qui rentrent dans ses habitudes, qui ne font pas éclater son moule, qui tiennent dans son cadre, ceux qu'on sait par cœur avant de les avoir lus, parce qu'ils sont semblables à tous ceux qu'on lit depuis qu'on sait lire.
Dans les discussions humaines, très souvent, l'insistance de celui qui se trompe entraîne celui qui dit vrai à exagérer la vérité qu'il affirme et par là à la fausser.
Le mal et le laid sont si nécessairement identiques, qu'ils se cherchent partout ; ils aspirent à se confondre, et l'homme qui a commencé par croire que le beau c'est le mal finit par dire : le beau, c'est le laid ! La force des choses entraîne sa parole et l'oblige à proclamer, en remplaçant un mot par un autre, une synonymie qu'elle ne soupçonnait pas, une identité qu'elle ignorait.
La petities de leur personne et la petitesse de leur vie diminuent à leurs yeux les proportions de leur injustice. Et cependant un nain peut commettre un grand crime.
Le style est une puissance qui, comme toutes les puissances, a besoin d'être vengée. La funeste parole qui représente une si grande chose, est une des paroles les plus déshonorées qu'il y ait au monde. Cette association d'idées dont j'ai parlé souvent, et dont je parle encore aujourd'hui, nous a donné l'habitude de considérer le style comme l'art de coudre les mots à la suite les uns des autres, l'art d'arranger les phrases avec une symétrie vide, élégante, insignifiante. Pour les rhéteurs, le style, comme presque toutes les beautés, le style est une chose négative; dans leur pensée, il s'agit, pour bien écrire, d'éviter une multitude d'inconvénients, les locutions qui ne sont pas nobles, les expressions trop familières, les mots durs à l'oreille; et quand on a rempli ces conditions mécaniques, qui ressemblent, par leur multiplicité et leur niaiserie, aux conditions d'un jeu, on sait écrire, et on mérite le premier prix.
Pour juger les écrivains à ce point de vue, et leur assigner des rangs, il y aurait un moyen: ce serait de compter les fautes, comme au collège. Celui qui en aurait le moins à son compte serait proclamé le premier. Ce procédé aurait le mérite d'être un aveu. Il avouerait notre pensée secrète ; il avouerait que nous regardons l'abstention absolue comme la perfection, et que, pour nous, celui qui n'a rien fait est celui qui a le mieux fait.