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Critique de Denis3


Denis3
16 septembre 2023
L'homme qui ne voulait rien regretter
OU
les émotions fortes et l'alcool, c'est fait pour ça.

Henry Morgan était le nom d'un des plus féroces “frères de la côte”, corsaire,amiral de sa très gracieuse majesté britannique, et gouverneur de la Jamaïque ! Pas mal, hein ? Harry Morgan… est sa version contemporaine. La version HLM. C'est que la vie manque de brio, de piment, d'audace, pour ceux de la génération perdue, dont Hemingway.

Pourtant Harry a, lui aussi, un bateau. Une grosse chaloupe motorisée. Il l'a d'abord utilisée pour transporter du rhum de Cuba jusqu'en Floride, car nous sommes aux temps de la prohibition. Réinvestissant une part des profits, il l'a équipée de matériel pour la pêche sportive. Ainsi, il emmène des clients fortunés pêcher le marlin ou l'espadon. L'un de ceux-ci, maladroit et malhonnête, démolit le matériel et disparaît sans laisser un sou. Harry n'a pas de quoi réequiper son bateau et reprend le trafic d'alcool. La prohibition touchant à sa fin, les affaires ne sont plus ce qu'elles étaient, et il doit accepter des courses plus dangereuses, dont il ignore les aspects les plus sombres. C'est ainsi que les vies, somme toute bourgeoises, d'Harry et de sa femme Marie vont connaître le drame …

Des connaisseurs d'Hemingway affirment que sa vie a été marquée par une enfance malheureuse. Partagé entre une mère dominante qui voulait voir en lui une fille, et un père qui l'emmenait vivre de longues vacances dans la nature, Hemingway semble avoir détesté la première, et opté pour le second. Une fascination pour la nature, la solitude, la mort, se serait développée sur ces bases. La mort donnée par le chasseur ou le matador, et aussi la mort que le suicidaire se donne à lui-même, sont des thèmes récurrents. S'y ajoutent ceux de la génération perdue des vétérans de la première guerre mondiale ( si Hemingway n'a pas participé aux combats il a néanmoins été blessé près du front): des hommes désabusés, aliénés de la société et de toutes ses normes, souvent alcooliques, toujours bagarreurs. Ces ingrédients se retrouvent dans le personnage public qu'a construit l'auteur : écrivain flamboyant, buvant sec, chasseur, boxeur, passionné de corrida, collectionnant maisons, bateaux et femmes. Bien sur, Hemingway vit ce personnage public, et recycle des éléments autobiographiques dans ses personnages littéraires, tels Harry Morgan. La vente de ses livres finance le vécu dans la réalité… Autant dire que l'homme et son oeuvre sont difficiles à démêler.

Le style est celui qu'on lui connaît : sobre, dépouillé, presque télégraphique. Pourtant, les milliers de pages de brouillons contenues dans les musées qui lui sont voués attestent du souci maniaque que Hemingway avait de son écriture. Et il y a les stéréotypes, racistes et sexistes, qui sont poussés au point où l'on a envie d'en rire. le mythe du Grand Chasseur Blanc, sa femme s'accrochant à ses genoux, les africains et les asiatiques apportant leurs offrandes au porteur de civilisation. On se demande comment il a pu être du côté des républicains en Espagne et des Alliés pendant la seconde guerre mondiale. Mais il l'a été.

Un homme tourmenté, compliqué, vivant une histoire à la fois publique et privée, dont il jette quelques reflets dans ses livres, livres qui financent le style de vie qu'il s'est choisi ? Jusqu'à se rendre compte, comme Harry, que “ l'homme seul est foutu d'avance” ? Et se tirer un coup de fusil à 61 ans, miné, usé, à bout. Pour certains, un héros tragique ?





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