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Critique de Usurpateur


Il m'a fallu du temps pour apprécier le Soleil se lève aussi. Je l'ai lu une première fois et j'ai trouvé ça franchement ennuyeux. Un style journalistique, des personnages superficiels, dont les passe-temps principaux sont boire et être antisémite… Ce que je savais d'Hemingway a aussi contribué à biaiser ma lecture (même si ce que je savais se résumait à « c'est un macho homophobe, » ça me l'a rendu directement antipathique.) Mais force est de constater qu'il y a une démarche derrière cette apparente pauvreté littéraire. Hemingway a une peur évidente de toute forme de sentimentalité. Son narrateur, Jake, parle rarement de ses émotions, de ses peurs et de ses insécurités : le lecteur est censé les deviner à partir d'indices dans la narration. J'ai lu le livre une deuxième fois, en gardant ça en mémoire. C'était une lecture plus exigeante, mais aussi bien plus intéressante que la première, qui s'était résumée à une compréhension très factuelle et superficielle des événements du roman. « Oui, il y a deux verres vides sur la table. Très bien. On s'en fiche un peu, non ? » Seulement Non. Hemingway sélectionne avec soin les détails qu'il évoque, et ceux-ci sont donc presque systématiquement porteurs de sens. « Les deux verres vides symbolisent en fait la misère de Jake, qui se retrouve seul après que la femme qu'il aime et son amant sont partis coucher ensemble, laissant derrière eux deux verres vides. » En sachant cela, la lecture confine souvent à la spéculation mais l'objectif est atteint : qui n'a jamais regardé plus longtemps que nécessaire un objet qui n'a objectivement rien de particulier, seulement parce qu'il est lié d'une manière ou d'une autre à une personne ou un souvenir ? Cette absence d'explicitation permet au lecteur de projeter ses propres sentiments sur le narrateur, qui y gagne fatalement en profondeur. Même les beuveries constantes des personnages deviennent lourdes de sens : une lecture attentive révèle en filigrane le traumatisme de la guerre, et explique en partie le faussé entre Cohn (qui n'a pas connu la première guerre mondiale et s'accroche à des valeurs archaïques) et les autres, des vétérans désillusionnés, qui boivent par hédonisme, le plaisir physique étant la dernière chose à avoir gardé du sens à leur yeux. Pour conclure, j'ai bien envie de citer Flaubert, qui a dit : "Pour qu'une chose devienne intéressante, il suffit de la regarder assez longtemps."
Tout est dit.
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