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Critique de motspourmots


Oui, il se peut qu'après avoir lu ce livre l'idée même de manger de la viande vous devienne insupportable. Oui, le sujet de ce roman est dérangeant, le verbe parfois violent et certaines pages à la limite du soutenable. Mais... Mais c'est bien la littérature qui l'emporte, le style qui captive, la phrase qui touche. Ce premier roman, je l'ai dévoré (sans mauvais jeu de mots), séduite par la forme comme par le fond, assez abasourdie par la maîtrise de l'auteur qui, malgré la passion qui l'habite n'oublie jamais qu'il écrit un roman et parvient à sublimer son propos.

"Le tueur exerce ce métier depuis dix ans. Au commencement, François avait été étonné par ce terme. La franchise teintée de virilité de ses supérieurs était grande."

François travaille dans un abattoir industriel, un peu à l'écart de la petite ville du sud de la France où il vit. Comme son père. Il ne l'a pas vraiment décidé en fait, parce qu'il ne savait pas bien quoi faire de lui, François, alors penser à ce qu'il allait faire de sa vie... Son père a décidé pour lui. Un petit mot au directeur, un rendez-vous, une visite de la chaîne d'abattage et puis c'est lui qui se retrouve le couteau entre les mains et prend sa place dans le processus qui permettra à des millions de consommateurs de trouver leur ration quotidienne de viande dans leur assiette. Ensuite, les gestes se font, il évite de penser, les jours et les années passent... Mais peut-on rester totalement indifférent au sang qui coule ? Jusqu'à quand ?

Depuis l'adolescence, François préfère se réfugier dans les livres plutôt que d'affronter le monde extérieur. Son degré d'estime de lui-même est proche de zéro alors... Alors il arrive un moment où vibre une petite fibre, où les questions s'insinuent peu à peu sous sa peau, où la conscience de son environnement devient plus forte. Il arrive un moment où il finit par mettre bout à bout certaines sensations, comme cette attirance pour les méthodes d'un éleveur voisin qui traite ses animaux avec douceur et attention malgré les quolibets de ses semblables, ou ce dégoût qui le saisit parfois face à la violence qui habite certains de ses collègues de l'abattoir et aux scènes insoutenables que leur attitude génère. Comment vivre alors avec la pleine conscience du processus de violence auquel on a si longtemps pris part ?

"A partir de quand suis-je devenu attaquable ? Libre de ressentir la douleur d'autrui, les yeux enfin ouverts ? Capable de la reconnaître autour de moi ?

L'éveil de François sera brutal. Autant pour lui que pour le lecteur invité sur les lieux où s'exerce une violence qu'il préfère éviter de regarder en face. Une violence assumée par des hommes. Une violence qui prend racine au plus profond de la nature humaine dans un contexte qui excite ses instincts les plus bas. Les cadences infernales, la frustration, la colère sont autant de stimulants qui font sauter les derniers barrages.

"L'intelligence s'était nourrie de la cruauté manifestée par leurs gestes, et s'en était abreuvée. L'esprit délivrait à la chair des humeurs plaisantes, pareilles à celles qui suivent l'acte amoureux. Les hommes prolongeaient leur joie, profitaient d'un soulagement inattendu. Ils rétablissaient leur équilibre en se servant de la douleur d'un autre être, qui n'était pas eux".

Le lecteur sort de ce livre totalement ébouriffé par un voyage bien plus percutant que quelques bribes d'informations glanées dans les journaux télévisés lorsqu'un abattoir est parfois pointé du doigt pour ses méthodes. Errol Henrot réussit un roman très fort, qui secoue, révolte mais permet surtout de mettre les hommes face à leurs actes. Une littérature engagée qui n'en oublie pas d'être belle.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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