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Critique de karineln


« Qui pourra prouver que nous ne sommes pas un mirage, une lutte entre nous et notre pensée, seuls, entourés d'autres mirages ? Déterminés par l'instinct, et par le désir de lutter avec l'aide de notre mirage, le plus puissant de tous ? Partant de là, notre impossibilité de nous dégager de la torture, de la destruction, serait le témoignage, ou le signe que, privés de ce pouvoir, nous ne serions plus rien. Nous serions dépassés, nous détruisant nous-mêmes, par la peur. La peur. le mal le plus grand. »
Ce petit roman à la couverture repoussante, qui pourrait passer inaperçu, dont c'est peut-être même l'ambition, un peu comme son héros François qui vise l'invisibilité pour tenter de survivre, est certainement un des plus surprenants des romans 68 déjà lus et un des plus intelligents. Au-delà des questions éthiques et actuelles autour de l'exploitation de masses des animaux comestibles, de la nature détournée, oubliée, au service d'une consommation orgiaque et ordurière que notre monde produit, ordonne et dont il se regorge toujours….Ce récit en brodant son histoire dans le décor d'un abattoir industriel, raconte les êtres humains : leurs lâchetés confortables dans les répétitions d'un même pour ne plus avoir à penser, leurs orgueils pour ne pas avoir à réfléchir, leurs places à défendre dans une nasse de liens pourtant nocifs, leur vilenie…et leurs efforts aussi, leurs arrangements petits ou comme ils peuvent avec la réalité ou la culpabilité, enfin les faiblesses et combats des sensibilités autrement différentes, donc malmenées, donc souffrantes….
C'est sombre, empreint de désillusions ou devrait-on dire d'une grande conscience de ce qui nous anime, c'est fort et pertinent, indubitablement courageux, le tout dans une écriture fouillée, belle, panoramique, poétique, cruelle, incisive, sans filtres, sincère dans ses questions comme dans ses constats les plus douloureux, les plus laids.
Je tire mon chapeau à cet auteur plus que prometteur. Errol Henrot a le talent téméraire et humble de nous rappeler que certains, comme François, comme l'auteur, continue à voir au-delà de la destruction, du mercantile et du vil : la beauté du monde, la richesse d'une terre, l'ineffabilité des existences, des corps en chair et en poussières. Il nous rappelle que la littérature est aussi, sûrement, toujours là pour nous parler nos vies, aussi violentes, absurdes peuvent-elles être et sans donner de leçon de morale, juste par le biais d'une histoire, d'une fiction, éveiller nos consciences et préserver notre liberté de penser ce qui nous entoure et ce que nous éprouvons malgré la pression des carcans et des systèmes, et que nous sommes nombreux à nous débattre…
C'est un sombre réel raconté là, dans l'ombre et la clandestinité d'un désespoir ; c'est aussi en le regardant en face que nous pouvons tenter d'oxygéner sa singularité, dans le repli que l'on observe le lumineux qui manque et qui est possible.
« Dans sa faiblesse de jeune homme, il appréciait son habileté à passer inaperçu, sa neutralité, qui était une ouverture possible vers sa propre individualité. C'était une retenue contre les agressions extérieures, des hommes ou du paysage. (…) Les jours, les semaines s'écoulaient sans qu'aucun événement puisse faire dire à François : aujourd'hui. le temps n'était plus qu'une réalité mensongère, pas même altérée, plutôt enfouie sous une telle quantité de peurs, d'indécisions, de passivité, qu'il ne songeait même plus à faire des projets, à se choisir autre chose que la vie déjà entièrement écrite, proposée par son père et acceptée par sa famille. »

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