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Critique de Charybde2


Roadnovel déjanté dans les chaussures alcoolisées de Fredric Brown...

Avec ce premier roman solo, venant de paraître à La Volte, de Léo Henry, créateur avec Jacques Mucchielli (et l'illustrateur Stéphane Perger) de l'univers post-industriel aux confins désertiques de « Yama Loka Terminus » et de « Bara Yogoï », nous lisons un véritable coup de maître. 246 pages de récit débridé, assorties d'un index alcoolisé aussi surréaliste que jouissif, et de précieuses « notes de conception », pour nous faire partager les derniers jours (imaginés) de l'écrivain (réel) Fredric Brown, bien connu des amateurs de SF, même s'il fut avant tout un producteur de polars, récompensé dès son premier roman en 1947 par le prestigieux prix Edgar Allan Poe.

En 1965, alors qu'Edwin Aldrin s'attelle à la colonisation américaine de la Lune, la fin du monde survient en quelques semaines,... par « dissolution » du réel, dans lequel en profitent pour évoluer plusieurs créations littéraires de Fredric Brown lui-même, et quelques « re-créations » malignes de Léo Henry... L'occasion pour l'écrivain, en compagnie de son nouvel ami Roger Vadim (oui !), à la recherche de son épouse Jane Fonda / Barbarella, obligée de se planquer car poursuivie par une association FBI / Reine Noire de Sogo, de parcourir en tous sens les régions désolées qui s'étendent entre l'Arizona et la Basse Californie mexicaine, pour une sorte de « Fear and Loathing in Las Vegas » puissance deux (au moins). On pense en effet inévitablement à Hunter Thompson (et peut-être encore davantage au film de Terry Gilliam) lorsque les deux compères, réunis dans cette virile amitié cimentée par l'excès incessant de boissons diverses, multiplient les rencontres saugrenues et pourtant si... nécessaires !

Avec de véritables « morceaux de bravoure » tels que la conception d'un crime parfait par l'auteur de polars, l'échange de joyeuses propagandes Est-Ouest à l'occasion de la conquête de la Lune (ici avancée de quatre ans), la nuit avec Barbarella, dans son vaisseau spatial, sur une aire d'autoroute, l'assaut en règle, par les « forces du Mal », d'une communauté hippie à San Diego, les tendres et... ennuyeux échanges avec l'inlassable épouse Elisabeth Brown, la délicate rencontre avec un gang de bikers anthropophages, le périple mexicain avec une chèvre amicale dans un mini-bus Volkswagen bondé, ou encore, apothéose, la longue et « sérieuse » discussion finale entre Fredric Brown et son personnage George Weaver (le héros du roman « The Far Cry », 1951), extraordinaire mise en abîme, très « tongue-in-cheek », du métier d'écrivain et de créateur.

« Il s'éveilla d'un rêve d'échecs, de mitraillade et de désolation. Un temps il s'espéra ailleurs, loin du blanc exaspérant du plafond de sa chambre à coucher. Puis il entendit, depuis le bureau, le crépitement de l'IBM, et sut qu'il était malade. »
« ... Aldrin a déclaré se réjouir, heureux par avance de prouver sous peu aux bigots et aux cancrelats que la terre n'était pas plate et qu'elle tournait bien autour du soleil. Avec son franc-parler coutumier, il a également juré de tout faire pour virer les ruskofs et autres teignes communistes de l'espace intersidéral, après qu'avec son équipe ils auront coiffé au poteau les singes volants liberticides... du patriotisme, de la gouaille et du rêve étoilé !... Nous écoutons maintenant « Muskrat Ramble » par Lionel Hampton, vous êtes bien partis pour réussir votre vie, restez calés sur 99.8, WKRP, de Cincinnati à Tucson. »
« Fred but trois petits mescals, qu'il accompagna d'un plat de poivrons grillés au riz pilaf, aux haricots et au parmesan. Il essaya de communiquer en morse avec le ver au fond de la bouteille mais, ce dernier refusant de lui donner la réplique, il finit par remercier le patron dans un idiome incertain et rentra à l'auberge finir sa nuit. »
« Et maintenant, un peu de réclame, pour éviter à nos spectateurs les plus mesmérisés de se souiller par excès de rétention urinaire. Nous sommes mercredi 3 juillet 1965, il est sept heures douze sur la côte est, et les États-Unis ont conquis l'espace ! »
« Ils ricanèrent. Malgré une vingtaine d'années de différence d'âge et une éducation diamétralement opposée, ils avaient en commun un sens du drame assez particulier. Ils connaissaient la mort et devinaient qu'elle ne valait pas un pet de chameau. »
« Partout régnait la fragrance primitive et pure de la réalité sans fond, celle du monde au-delà du rideau des apparences, déjà décrite par nombre de Grecs en toge et d'Allemands à favoris, le parfum de la compote de pommes, petite variété acide, peu sucrée, légèrement aromatisée à la cannelle. »
« Si jamais on en réchappe, faisons un film sur tout ceci. Juste pour le plaisir d'en boire les colossaux bénéfices non loin d'un volcan en éruption, le cul dans l'eau tiède d'un atoll. »

À lire et relire pour le plaisir de ces innombrables citations, digressions, boutades et autres délires, beaucoup plus finement ajustés que l'impression d'aléa baroque pourrait le laisser croire !
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