L'ennui ne naît jamais d'un paysage, habité par l'écoulement des saisons où s'inscrit le renouvellement des formes, mais plutôt de la répétition des habitudes qui usent et vieillissent. Rouler est une routine quand l'envie disparaît.
Qu'on le veuille ou non, rouler demeure une aventure solitaire, parfois austère. Un monologue physique et un plaisir dépeuplé.
Rien que l'envie de s'oublier dans la rosée des matins calmes.
Le vélo apprend la vie, ses pièges et fulgurances. La beauté de ses ratés, sa belle et triste musique parfois, enseigne nos manques et nos élans impossibles.
Rouler pour s'apaiser et s'envoler, s'arracher aux pesanteurs du ciel. Le vélo a été comme le prolongement infini de l'enfance, des années de promesse tenues et une façon de ne jamais me séparer de moi-même. De rester fidèle à celui que j'étais à 8 ans. Une partie de moi-même désormais impossible à solder. En roulant, je ne fuyais pas les miens, je me sauvais de ma noirceur. De moi-même.
En partant à deux-roues, je fonde ma liberté en me réappropriant le temps volé par nos existences saturées. Je trouve mon propre tempo, qui est sacré. Pas d'injonction à vélo, on dicte sa propre loi et on se cale sur son rythme, on devient l'acteur d'un rythme qui, d'habitude, nous est imposé par le quotidien. On le subit, en tant que consommateur. A vélo, on le construit, selon ses envies, ses besoins. Pédaler, c'est façonner un temps à notre image. Je laisse filer le sable entre mes doigts sans même essayer de le retenir. Je repasse aux commandes de ma vie.
La question n'est pas de savoir d'où je viens, mais plutôt où je flâne. Je suis de là où je vais.
On fait du vélo, parfois, simplement pour savoir qui l'on est. Ou plutôt pour savoir être autrement. Jusqu'où puis-je me connaître ?