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Critique de Plumefil


Sensible aux couvertures des livres que je choisis, celle-ci n'a pas échappé à mon regard. Une jeune femme dont le visage est occulté par un immense trou noir qui peut être celui de l'oubli ou celui de l'ignorance. Tout est dit... Ou presque.

J'ai beaucoup lu sur la deuxième guerre mondiale, ses atrocités et ses conséquences. Si le procès de Nuremberg est mondialement connu avec ses images d'archives montrant les hauts dignitaires nazis presque étonnés de se trouver sur le banc des accusés devant une cour de justice, proclamant leur innocence avec arrogance et dédain, le deuxième procès d'Auschwitz en 1963 est longtemps resté dans l'ombre. Les inculpés n'appartiennent pas à l'intelligentsia de la "solution finale". Pour la plupart, ce sont des hommes ordinaires, gradés ou non, militaires ou civils, comme le pharmacien fournisseur de Zyklon B, des pères de famille qui obéissaient aux ordres, qui avaient peur et qui préféraient détourner le regard. Ce n'est aucunement une excuse, mais une façon d'essayer de comprendre pourquoi il s'est passé toutes ces horreurs sans que quiconque ne bronche.

le procès dont personne ne voulait est la toile de fond du livre. le principal sujet, traité avec beaucoup de pudeur et de mesure, est le silence dans l'histoire d'une famille allemande, représentatif du comportement de la population de l'après-guerre dans ce pays. Il faut savoir que, dans les années 50-60, il était interdit aux "enfants de la guerre" de poser des questions à leurs parents sur ce qui s'était passé. C'était l'Omerta totale. Est-ce par honte, culpabilité ou désir d'effacer des souvenirs pas très glorieux ? Personne ne voulait parler, et ce, pendant des années. Ce silence imposé est un acte politique fort et Eva Bruhns, petite interprète germano-polonaise va découvrir un monde d'atrocités qu'elle ne soupçonnait pas et qui va bouleverser le cours de sa vie. En suivant les minutes du procès, traduisant les dépositions des survivants, elle représente la première prise de conscience du peuple allemand face à l'horreur maintenue dans le silence général.

"Il serait prétentieux d'avoir de l'empathie et d'en pleurer parce que nous n'avons pas ce droit en tant que coupables. Se mettre en position d'imaginer ce que ça fait. J'ai un très grand respect pour ces survivants et ne voulais pas les représenter comme des victimes même si elles en sont. " déclare Annette Hess lors d'une interview. Ce roman, elle l'a construit d'après les 400 heures d'enregistrement du procès. Si certains témoignages ont été raccourcis ou fusionnés pour les besoins de la dramaturgie de la fiction, aucun n'a été faussé. Elle a imaginé des personnages gravitant dans ce monde de non-dits pour faire revivre L Histoire en rappelant au passage la condition féminine des années 60. Elle brosse un magnifique portrait de femme qui évolue de l'ignorance, savamment entretenue par son entourage, jusqu'à une responsabilité historique qu'elle ne soupçonnait pas.

Avec sa plume, Annette Hess rend également hommage au procureur Fritz Bauer, non cité dans le livre, mais auquel on ne peut s'empêcher de penser puisqu'il s'est battu contre vents et marées afin que ce procès puisse avoir lieu en complément du premier procès d'Auschwitz de 1947.

Il est toujours facile de poser un jugement sur des faits éclairés par la lumière de l'Histoire. Nous ne sommes que des humains avec nos qualités, mais aussi nos défauts. Nous possédons des forces insoupçonnées face au danger pour nous-mêmes et pour les nôtres, ainsi que des lâchetés cachées. Quatre-vingts ans plus tard, nous ne sommes ni plus intelligents, ni meilleurs, ni plus humanistes qu'à l'époque. Dans un climat de terreur établie, que ferions-nous face à l'injustice ? S'interposer vigoureusement au péril de notre vie et surtout celui de notre famille ou refermer doucement sa porte pour protéger les nôtres des conséquences de la violence ?

Ce livre est une belle découverte, incontournable pour qui s'intéresse au sujet, en explorant la culpabilité portée par toute une génération, héritière d'une Histoire dont elle n'est pas actrice, en lui donnant un sentiment d'imposture, mettant à jour l'existence de la culpabilité intergénérationnelle. Par son travail colossal de recherche et son analyse fine et précise, Annette Hess offre une histoire efficace, captivante et émouvante en brossant toute une galerie de portraits d'une justesse infinie. En refermant ce roman, une question subsiste : l'Humain est-il suffisamment fort pour être capable d'une résilience telle qu'offrir son pardon à l'Inhumain ?
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