Citations sur Le Silence des bombes (17)
En bas, sous le porche, il trouva des pots, des plateaux de bois, des sacs de compost, des gants de jardinage, des mini-serres et des tuteurs attachés avec des cordes effilochées. Son grand-père lui avait appris le jardinage, entre autres choses, mais il n'avait jamais eu d'espace pour s'y adonner, à Berlin. Il passa en revue les sachets de graines, tous ouverts, mais pliés, maintenus ensemble et fermés avec des pinces à linge en bois. Il lut les noms avec attention, exagérant chaque syllabe : delphinium, lupin, fuchsia, géranium. Il plaça quelques graines dans la paume de sa main et les effleura du bout des doigts. Chaque graine incarnait une petite touche d'espoir, un nouveau départ, minuscule.
La guerre était une besogne longue et pénible. Elle déchirait les talons, pinçait, mordait, écrasait, rongeait, broyait les épaules, plaquait les hommes au sol. Mieux valait éviter de se considérer comme un être humain. On n'était plus qu'une machine biologique, rien d'autre, avec des roues, des pistons, des bielles, des engrenages qui, d'une façon ou d'une autre, poussaient vers l'avant.
Et puis cette touche finale, cette explosion de silence, délicatement suspendue dans l'air pendant quelques secondes, telle une inspiration retenue, avant qu'elle disparaisse, balayée par les applaudissements.
Elle aimait sentir la proximité de l'herbe. Elle prétendait entendre le battement du cœur de la terre.
Elle imagine son père marchant dans les forêts blanches de Norvège, s'enfonçant dans la neige sans se retourner une seule fois. Il disparaît entre les arbres et la neige tombe des branches, recouvrant toutes ses traces. Elle ne l'imagine jamais mourir là-bas, mais s'estomper, oui. Lentement, paisiblement, jusqu'à ce que la brume prenne sa place, peu à peu. Elle le retrouvera peut-être de la même façon. Elle se tiendra sur un quai de gare, il émergera des volutes de vapeur crachées par la locomotive, comme dans le brouillard norvégien. Un tour de magie.
Elle connaît la vérité, pourtant. Son père ne reviendra jamais.
L'Allemagne ne s'était pas faite dans les salles de concert, mais dans les tranchées, dans le fracas des batailles. A part Wagner et de rares chants folkloriques traditionnels, la musique n'avait jamais aidé le peuple allemand. C'était une distraction acceptable pour un dimanche après-midi, et seulement quand il n'y avait rien de mieux à faire.
Veillez à ce que l'ennemi ne trouve pas de carburant. Rappelez-vous que l'absence de véhicules et de carburant est un obstacle majeur en cas d'invasion. Assurez-vous qu'aucun envahisseur ne mette la main sur votre voiture, votre essence, vos cartes ou votre bicyclette.
Il avait besoin de dormir, maintenant. Seigneur, qu'il avait besoin de dormir ! Mais trop d'images se bousculaient dans sa tête, toujours plus fortes dans ses rêves, toujours présentes, alors qu'il s'efforçait tant d'oublier.
Les hommes n'étaient plus les mêmes à leur retour du front. Voilà pourquoi plus de la moitié d'entre eux s'étaient engagés au départ. Ils voulaient que la guerre fasse d'eux des hommes nouveaux.
Que lui avait-elle appris, d'ailleurs ? Que la magie se logeait parfois dans les choses les plus simples : l'allumette était un homme de bois, le murmure de la mer s'entendait dans la spirale d'un coquillage, les couloirs de la maison étaient visités par de la poussière d'age qui luisait dans les rayons de soleil.