Il était heureux de son bout de jardin, de son enclave de solitude dans les hauteurs délaissées d'une petite campagne, d'un petit pays. Il était heureux, vraiment. Et j'étais heureuse avec lui. Ce fut, comme dans le jardin de ma grand-mère, un instant de ma vie où je sus ce qu'était la sérénité.
Vivre au jour le jour n’est pas une philosophie bobo mais un antibiotique pour claquer la porte au nez de l’angoisse.
A neuf ans, j'entrevoyais déjà une partie de l'injustice de ce système et j'en étais indignée pour ces hommes et ces femmes que nous laissions derrière nous . Ces hommes et ces femmes non choisis, non voulus, ces indésirables de l'arche de Noé dont d'autres créatures, tout aussi humaines qu'elles, avaient décidé que la vie s'arrêterait là. Car l'arche de Noé, comme l'évacuation en urgence, n'était pas une obligation mais un choix : celui de sauver, celui de ne pas sauver.
Dans Emma Bovary, j'avais vu ma grand-mère, Ema et moi. J'avais vu tous les migrants, tous les rêveurs déçus qui étaient partis comme nous étions partis, avec une valise de clichés, pour une France romantique, une France trompeuse, une France qui m'avait menti et où je refusais de rester.
Ma mère, mon frère et mes soeurs étaient à Shefa Amr, mon père et mon amie Ahava étaient à Haïfa. J'étais seule. Et je n'étais rien. Aucun lieu, aucune identité, aucun choix. A dix-sept ans, j'étais nomade. Je n'avais vécu nulle part - tout au mieux j'avais suivi - et surtout, j'étais trop jeune pour savoir si cette vie me plaisait ou non .
A dix-sept-ans, j’étais nomade. Je n’avais vécu nulle part- tout au mieux j’avais suivi- et surtout, j’étais trop jeune pour savoir si la vie me plaisait ou non.
Bagdad (en 1982), c'était un Tétris terminé. Pas de place pour quoi que ce soit d'extérieur ou de nouveau. Les informations du monde, les informations des pays juste à côté, tout recevait un coup de pied au derrière à la douane.
Zahi aussi me privait de ma liberté. Il m'étonnait beaucoup à cette époque. À toutes les soirées, il nous servait le coup du communisme oriental, de l'horizontalité entre les hommes, de l'égalité entre les sexes, de l'accès de tout à tous.
Et puis quand on se retrouvait seuls, quand les invités étaient partis, il posait son derrière sur son fauteuil, allumait un cigare et me disait :
« Qu'est-ce qu'on mange demain? » ..