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Critique de SebastienFritsch


Précurseur sur la "question noire" aux États-Unis, comme le dit la quatrième de couverture, ce livre l'est peut-être : je ne suis pas assez calé sur ce qui a pu être écrit avant ou à la même période sur ce sujet.
Ce qui est certain en tout cas c'est que ladite période, à savoir l'année 1943, nous donne à observer les relations entre Noirs et Blancs dans un contexte très particulier : celui d'un pays en guerre qui doit pourtant continuer à faire fonctionner son industrie et notamment dans les domaines de l'armement et de la construction navale. Ainsi, une fois les jeunes hommes (de toutes couleurs) envoyés sur les champs de bataille, il n'y a pas d'autre solution que de rassembler dans les mêmes usines ou sur les mêmes chantiers, considérés comme prioritaires, des populations qui, en temps normal, ne se mélangent pas. Remarques blessantes, coups bas, vexations persistent néanmoins malgré cette apparente prise de conscience qu'un Noir vaut bien un Blanc... les outils à la main. de toute façon, en dehors du lieu de travail, la ségrégation existe toujours ; restaurants, cinémas, quartiers d'habitation ne sont pas mixtes.
La "question noire" est donc le fil conducteur de ce roman, c'est certain. Et les péripéties qui s'enchaînent sur cet axe le confirment, puisque l'on suit Bob, un jeune ouvrier noir, qui veut faire sa place, être respecté, mais s'en prend plein la figure et rêve donc de vengeance... et d'amour.
Pourtant, ce même contexte du temps de guerre nous donne à observer d'autres relations que celles qui opposent les hommes noirs et les hommes blancs : les relations avec les femmes. Car le besoin de main d'oeuvre modifie aussi leur place : habituellement considérées comme quantité négligeable, elles apparaissent subitement comme des êtres munis de 2 mains, capables de tenir un tournevis, une clé anglaise ou un poste à souder (pour rappel : à la maison, les femmes n'ont pas besoin de leurs mains : il leur suffit de siffloter et le travail se fait tout seul).
Il apparaît alors bien vite que l'opposition blanc/noir et l'opposition homme/femme prennent autant de place l'une que l'autre dans ce livre, voire se combinent pour créer le noeud central de l'intrigue.
De ce fait, parler de "question noire"en évacuant la misogynie du narrateur, c'est franchement réducteur. D'autant que notre Bob est un expert en la matière : queutard invétéré mais violemment possessif avec sa fiancée, il envisage aussi sans sourciller le viol d'une ouvrière blanche de son chantier comme technique de vengeance à l'encontre de tous les Blancs.
À la limite, un tel profil peut être utilisé dans un roman, si l'idée de l'auteur est de dénoncer ce genre d'attitude (mais le voulait-il?) et on peut
même se dire que Chester Himes a délibérément forcé le trait pour montrer qu'il existe des connards de toutes les couleurs. Car son Bob, méprisant et violent avec les femmes, amoureux de sa bagnole et de la bibine, crache en réalité sur tout le monde : ses employeurs, ses "amis", les syndicalistes, ses futurs beaux-parents...
Si dépeindre un protagoniste antipathique est un défi littéraire comme un autre, je trouve que ça dessert un peu le propos ici. Les regards torves et les entourloupes des Blancs contre Bob sont bien réels et révoltants, mais s'effacent un peu derrière sa violence et sa haine universelles (y compris envers les blancs qui l'aident et une jeune fille noire qui l'aime... alors que lui-même semble n'aimer que sa Buick). Il finit juste par ressembler à un beauf bas du front à fuir à tout prix.
Cela dit, bien plus ennuyeuse, voire carrément rasoir, est la succession de revirements de Bob et de quelques autres personnages au fil des pages, parfois spontanés et inexpliqués, parfois suscités par des hasards ridicules. On passe ainsi sans arrêt d'un extrême à l'autre, d'une décision à son exact opposé, de la haine violente à l'amourette cul-cul-la-praline, sans parler des demi-tours incessants dans la ville à bord de la belle Buick, pour finalement aboutir à un dénouement attendu depuis 300 pages... pour un livre qui en compte 308.
En résumé, le seul intérêt de ce roman est son contexte historique, à savoir la guerre et la ségregation... et la misogynie élevée au rang de discipline olympique, mais sûrement pas ses péripéties ni ses personnages.
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