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Citations sur L'Assassin royal, tome 12 : L'Homme noir (32)

Toute la vie se passe dans la tête. Sinon, où se déroule-t-elle ? Où faisons-nous la somme de ce qu’elle signifie pour nous et soustrayons-nous ce que nous avons perdu ? Un événement demeure un simple événement tant que personne n’y attache de sens.
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Le jeune garçon avait suivi des yeux son père alors qu'il se brisait au sol. Il se retourna vers le dragon et, la bouche distendue, poussa un hurlement de haine pure. Animé de cet influx, il tendit son arc si fort que j'eus peur de voir l'arme se rompre ; je le vis s'unir à la flèche, les yeux plantés dans ceux de la créature qui approchait.
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Il est rassurant de sentir un ami derrière soi, même s'il dort à poings fermés.
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Je dus m'endormir, bercé par son extraordinaire récit. Quand j'ouvris les yeux, il faisait nuit noire. Le silence régnait dans le camp et seule une flamme hésitante brûlait au bout d'une mèche plongée dans l'huile au fond du brasero d'argile. J'étais couché sur le lit du fou, pelotonné sous une de ses couvertures ; lui dormait en boule comme un chaton, son front presque contre le mien, à l'autre bout de la paillasse. Il respirait profondément, régulièrement, et l'une de ses mains reposait entre nous, paume en l'air, comme dans un geste d'offrande ou d'imploration. A demi endormi, je plaçai ma main dans la sienne ; il ne parut pas s'éveiller. Je me sentais curieusement en paix. Je fermai les paupières et sombrai dans un sommeil sans rêve.
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Nous restâmes tous saisi par ce discours, et Devoir plus encore. Il me semblait l'entendre réfléchir furieusement tandis qu'il regardait fixement Burrich ; avait-il jamais songé avoir le pouvoir de faire un tel choix ? Ses yeux se posèrent sur chacun de nous tour à tour, puis il se leva. Son visage avait changé ; jamais je n'avais assisté à cela, jamais je n'avais imaginé qu'en un seul instant un adolescent pouvait devenir adulte. Je fus témoin de ce miracle ce jour-là. Il se pencha vers l'entrée de la tente. "Longuemèche !"
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"Debout ! répéta-t-il d'un ton sévère. Nous avons perdu assez de monde aujourd'hui ; pas question que nous vous perdions vous aussi."
Je levai les yeux vers lui. Je me sentais comme forgisé.
"Il y a longtemps que je suis perdu", répondis-je ; puis je respirai profondément, me redressai et le suivis.
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-Oui, je sais, fit-il doucement. Tu t'y trouves toujours ; tu t'étais débarrassée en elle de souvenirs insupportables et d'émotions que tu refusais. Tu lui avais donné ton abandon par ta mère et le fait que tu n'avais pas connu ton père ; tu lui avais donné les tortures que t'avait infligées Royal dans ses cachots ; et surtout tu lui avais donné la peine que tu avais éprouvée à te voir dépossédé de Molly et de ton enfant par Burrich, l'homme qui t'avait élevé. Tu t'étais soulagé en elle de ta colère, de ta douleur et de ton sentiment d'avoir été trahi." Il poussa un petit soupir. "Tout cela existe encore en elle, tout ce que tu ne t'autorisais pas à ressentir.
-J'ai laissé tout ça derrière moi depuis longtemps, dis-je d'une voix lente.
-Tu t'es amputé toi-même et tu as poursuivi ta route diminué d'autant.
-Je ne vois pas la situation sous cet angle, répliquai-je avec raideur.
-Tu ne peux pas, déclara-t-il calmement, parce que tu n'es pas en mesure de te rappeler à quel point ces émotions te tourmentaient - parce que tu les as éliminées en les confiant à la Fille au dragon.
-Pourrait-on abandonner ce sujet ? demandai-je, au bord de l'épouvante, au bord de la colère, mais surtout incapable de comprendre ce qui aurait pu m'épouvanter ou me mettre en colère à ce point.
-Bien obligé, car tu l'as abandonné il y a de longues années. Moi seul saurai jamais la profondeur de ces émotions ; moi seul garde le souvenir complet de celui que tu étais avant que tu ne t'en débarrasses, car nous sommes liés l'un à l'autre, non seulement par l'Art et le destin, mais parce que nous continuons à vivre tous les deux dans la Fille au dragon.
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Je restai saisi devant l'expression qui envahit ses traits : je lus dans ses yeux un soulagement sans fard. Je mesurai alors, je crois, l'abîme de peur qui béait en lui devant la tâche qui l'attendait ; le fait qu'il ne s'en fût ouvert à personne représentait le plus grand acte de courage que j'eusse jamais connu. Comme je soulevai le rabat de la tente, il m'interpella : "Fitz, tu m'as beaucoup manqué. Ne t'en va pas ; dors ici cette nuit, je t'en prie."
J'acceptai.
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J'ai encore ce sentiment devant toi ; l'improbabilité de ton apparition me laisse le souffle coupé. J'ai découvert relativement peu d'avenirs possibles où tu sois présent ; dans la plupart, tu disparais enfant ; dans d'autres... bah, je ne crois pas avoir besoin de te décrire toute les façons dont tu péris dans des lignes temporelles voisines. Combien de fois n'as-tu pas échappé de la manière la plus invraisemblable aux mâchoires de la mort ? Eh bien, crois-moi, Fitz, dans des mondes parallèles aux nôtres, tes jours ont pris fin à ces moments-là. Pourtant, te voici devant moi, toujours vivant, toujours avec moi, véritable défi à la logique statistique, et, par ta seule existence, à chacune de tes respirations, tu modifies le temps tout entier. Tu m'évoques un coin enfoncé dans une bille de bois sec ; chaque battement de ton coeur te plonge plus profondément dans "ce qui pourrait être", et, à mesure que tu progresses, tu ouvres une fracture dans l'avenir, tu mets au jour cent, mille possibilités nouvelles qui se ramifient et se multiplient elles-mêmes par centaines, par milliers." Il s'interrompit pour reprendre son souffle, et il éclata de rire devant ma mine sombre. "Eh oui, mon Catalyseur, c'est ce que tu fais, que ça te plaise ou non ! Et j'ai éprouvé la même impression ce soir devant l'Homme noir ; les possibilités miroitaient en si grand nombre autour de lui que je le distinguais à peine. Il est encore plus improbable que toi !"
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-S'il te plaît, Fitz...", protesta-t-il d'une voix défaillante, et il saisit mon poignet de sa main nue à l'instant où le bout de mes doigts effleurait sa joue.
Le choc de ce toucher mutuel m'aveugla une seconde, comme si, sortant d'une écurie obscure, j'étais passé brutalement de la pénombre au grand soleil. D'un sursaut, je m'écartai, lâchai le mouchoir plein de neige et clignai des yeux, mais ce que j'avais vu resta gravé sur l'intérieur de mes paupières. J'ignore comment j'étais parvenu à comprendre ce que j'avais aperçu ; peut-être l'explication résidait-elle dans le cercle clos que formait notre contact. Je repris mon souffle en tremblant puis, sans réfléchir, j'approchai la main de son visage , les doigts tendus.
"Je puis te guérir", lui dis-je, stupéfait, la respiration coupée par cette découverte.
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