Pour moi, ce second volume n'est pas à la hauteur du premier. Il y a plus de longueurs, moins de révélations, d'évolutions dans les relations et l'histoire. J'ai été agacée à plusieurs reprises par le pusillanisme d'Alise et Sédric, qui se morfondent beaucoup (Alise sur sa relation aux autres, Sédric sur ses conditions de vie). En soit, c'est normal que des personnages ayant vécu une vie facile avant aient du mal avec leur situation actuelle. le problème, c'est la répétition.
En réalité, le problème général de ce tome EST la répétition. Certaines scènes sont vues deux fois à travers deux personnages différents, mais sans que le second regard n'apporte quoi que ce soit. Je pense, bien sûr, à l'altercation qui a eu lieu entre Alise et Kanaï quant à l'utilisation des vêtements Anciens. On assiste à la confrontation avec Thymara, qui nous apporte déjà toutes les clés de compréhension, puis quelques pages plus loin, Tatou décrit toute la scène sans ajouter la moindre information.
On a d'ailleurs une nouvelle couche quelques pages encore plus loin avec Alise qui, nous dit-on, broie du noir depuis des jours parce qu'elle réalise qu'elle est très égoïste de s'autoriser un confort qu'elle interdit aux autres – puisque Leftrin, son amant, lui a offert une robe Ancienne et que ces vêtements ont la capacité de ne pas s'abîmer, se salir, d'être beaux, pratiques et de tenir chaud. Comment interdire aux gardiens, qui vivent dans l'humidité et le froid depuis plusieurs semaines, de jouir de pareil confort ? Et vas-y que je me sens méchante, et vas-y que je me sens inutile, et vas-y que je me rappelle que les gardiens deviennent des Anciens et ont accès à toute la mémoire de leur espèce et que donc mon travail ne sert à rien. Et les humains, Alise ? La raison pour laquelle on ne sait plus rien des Anciens, c'est que personne n'a jugé nécessaire de décrire l'évidence. Ton travail sera utile à toute personne insensible à la pierre de mémoire ou n'y ayant pas accès.
À cause de cela, Alise devient un personnage beaucoup moins sympathique que dans le premier volume, puisque trop sujet à la redondance et à l'auto apitoiement.
Mais elle n'est pas la seule. Cette seconde intégrale nous permet de retrouver Malta. La petite fille piquante, orgueilleuse et égocentrique qui avait appris à faire face aux pires situations est devenue une femme craintive vivotant dans l'ombre de son mari bien-aimé. Elle laisse Reyn parler en son nom, se montrer paternaliste et protecteur, décider de quand elle est fatiguée, semble se prélasser dans le rôle de petite chose fragile… C'est comme si elle avait perdu tout amour propre. Ce n'est pas la Malta que je connais. Ce ne sont pas les femmes de Robin Hobb que je connais ! Ces femmes fortes, qui refusent le joug d'hommes persuadés qu'ils les dirigent pour leur propre bien. Malta est la contradiction parfaite de ce message, puisque la seule fois où elle refuse d'écouter Reyn, la seule fois où elle prend les commandes et lui ordonne d'aller chercher des informations en la laissant rentrer seule chez eux, elle se perd en route (ça fait des années qu'elle vit à Trehaug, COMMENT peut-elle perdre le chemin de sa propre maison, même de nuit ?), commence à avoir des contractions, se fait enlever par des Chalcédiens qui veulent vendre sa chair, expulse l'enfant dans un bordel mal famé de Trehaug. le message est là : Malta, arrête de prendre des initiatives. Il y a Reyn pour cela.
Tout ça sous prétexte de quoi ? Sous prétexte d'être enceinte.
Cela dit, j'admets qu'elle s'est très bien sortie de la situation (vu son état) et qu'elle n'a pas manqué de cran – mais c'était plus pour protéger son enfant qu'elle-même.
Tout cela m'amène sur un autre terrain : celui de l'Amour. Toutes les relations m'ont tapé sur le système : elles sont trop parfaites. Une, passe encore (Leftrin et Alise), mais deux ? (Sédric et Carson) Et trois ? (Davvie et Lecter) Quatre ?? (Hennessie et Tillamon, la soeur de Reyn ; Malta et Reyn, évidemment) S'il vous plaît, stop ! le point commun ? Elles nouent toutes deux personnes qui ne devraient pas être ensemble, soit qu'elles ne sont pas de la même condition sociale, soit qu'elles sont du même sexe.
Je suis d'ailleurs effondrée de voir qu'après sept ans de mariage (je crois), Reyn et Malta s'aiment comme au premier jour. C'est impossible. Ils ne se sont jamais disputés, passent plusieurs secondes à s'absorber dans la beauté de leur partenaire, ne se font jamais de reproches, s'admirent mutuellement, etc.
Thymara aurait dû servir de parfait contraste, mais son indécision m'agaçait prodigieusement. Un coup j'embrasse l'un, mais pas parce que je le choisis, juste parce que j'en ai envie. Un coup je couche avec l'autre, mais en fait j'ai pas envie de rester avec lui parce que, d'accord, est super canon, mais il est vraiment bizarre. Comment peut-elle mépriser Jerd alors qu'elles ont la même attitude ? Kanaï et Tatou l'aiment. Comment peut-elle piétiner leurs sentiments si allègrement ? Évidemment, je SAIS que c'est le signe d'un conflit intérieur entre son éducation (elle n'a pas le droit de partager sa couche avec qui que ce soit, ni même de se faire courtiser), ses désirs (je vous fais pas de dessin) et ses peurs (perdre son indépendance, tomber enceinte). Mais moi, ça m'agace parce que c'est contre mes principes. On ne fait pas du tort aux gens sous prétexte qu'on est en conflit interne. C'est pas bien. Vilaine Thymara.
Point positif : Sintara s'humanise. Elle qui était l'égoïsme incarné commence enfin à prendre quelques fois en compte la sensibilité de sa gardienne. Je n'y croyais plus !
Autrement, on en apprend un peu plus sur les Anciens et le fonctionnement de leur magie. Il m'a semblé que l'auteure se garde quelques cartouches pour continuer à écrire dans le même univers, mais j'en ai appris suffisamment pour combler ma curiosité. C'était satisfaisant.
Par ailleurs, Robin Hobb met en avant des problématiques qu'elle avait déjà abordées dans le premier tome et qu'elle approfondies dans celui-ci : l'avidité humaine, qui se montre souvent destructrice envers les objets qu'elle convoite, la nécessité de manipuler les artéfacts puissants avec beaucoup de parcimonie, etc. Des messages qui me parlent, en général.
Un avis donc un peu plus mitigé sur cette fin de saga. Mais je reste malgré tout fan de l'univers, que je préfère encore à L'Assassin royal, ainsi que de la plume de l'auteure. Je pense toutefois que je m'arrêterai là dans les sagas de Robin Hobb. Je sens la qualité baisser lentement mais sûrement d'un tome à l'autre et je préfère rester sur une note agréable, malgré quelques défauts.
Et je réalise avec tristesse que Shriver n'a certainement pas survécu. Jusqu'au bout, je croyais en sa renaissance en tant que dragon ! Mais si elle avait été Veras, je pense qu'on l'aurait su à un moment donné… Quel dommage, c'était un narrateur que j'appréciais beaucoup dans Les Aventuriers de la mer.
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