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Critique de Erik35


L'ÉTÉ : DU PLUS PROFOND A LA SINGULARITÉ DE LA PEAU. (Une lecture)

Arrêtons-nous un instant chez un autre poète (nulle provocation. Prendre seulement temps de la distance avant de mieux nous pénétrer de la lecture encore vive) et voyons ce qu'il dit de cette saison - qui n'est pas sans résonance avec le beau recueil illustré des tendres dessins de Bobi + Bobi -, avant que d'apprécier ce dont nous proposons une humble, très humble et fort partiale lecture :

l'été : un éblouissement comme est la neige,
Celle qui vient légère et ne dure pas,
Et rien de nous n'en trouble la lumière
D'eau qui s'est condensée puis s'évapore.

Yves Bonnefoy.

Mais c'est loin d'être assez !

On entre toujours dans l'univers de Cécile A. Holdban à petit pas - à pas comptés comme on l'eût peut-être dit dans les paysages anciens de l'enfance - car il faut, que de l'infime détail, de la minuscule apparition de vie, de cette explosion retenue des souffles et des sens puisse surgir - «l'été, les rêves agitent les voilages» -, prendre forme, se dessine ou même, plus précisément se peigne la toile d'une vie à mille lieues d'une contemplation d'elle. Alors, et alors seulement, ce qui semble à l'oeil commun inexact ou inaudible, à l'oreille incertaine inlassablement inconnu, à la peau mal préparée, une saison à nulle autre pareille, certes ! mais de soleil, de farniente et de palabres noctiluques tout juste, tout au plus d'amitiés en attente des souverains renouveaux sous le scel rayonnant de l'astre apollinien, tout cela vrai sans nul doute, mais si peu ou déjà trop au regard de la Poète dont les craquelures offrent, à qui prend acte d'écoute profonde et respectueuse du dit, le sens profond, et quel ! d'une saison aux douceurs trompeuses autant qu'elles sont véridiques, âpres en même temps qu'elles sont bénéfiques, amères comme sont inextinguibles les faims et les soifs de l'autre, cet autre soi-même, unique, interminables comme une courre aux accents dorénavant célestes :

J'ai longtemps creusé ton visage
avec mes yeux
des rivières en crues larges de tant de pluies

j'avais une faim de bois,
de chevreuils de course et d'aubier
et les forêts naissaient au galop de mon souffle.

Dès lors, tout devient parfum et nectars, cascades d'ors, pluies immaculées, vrombissement extravagant des abeilles en travail ; le presque rien participe du grand Tout à égale distance, à égale valeur que nos habituels arbitraires d'importance, dans une sorte de parti pris des choses que nous ne saurions réaliser si Cécile A. Holdban ne savait nous les montrer de mots et de touches sensibles - on se prend à songer à quelque merle impossible se rejouant à l'infini telle gymnopédie, telle gnossienne, telle délicate sarabande -. La tendresse maladroite et perdue des enfances n'est jamais bien éloignée, qui se pose en ces mots, par dessus l'oiseau mort :

«Mais comment me détacher
de ce geste de petit enfant,
ton cou blanc replié sous l'aile
la grâce encore tendre
du corps que la vie a quitté ?»

Que faut-il alors, pour trouver grâce à la vie ? le centre ou le décentrement ? le désir ou l'obscur sentiment de son éloignement futur ? S'agit-il seulement de se laisser aller - mais totalement - à la folie d'une sensualité magique qui passerait tant par le baiser que les mains, par le toucher et l'oubli, par le regard de l'autre et par la multiplicité des je en sa rencontre ?

«Je suis en morceaux
libre, puisque je chante
éparpillée dans le cosmos
fragments de miroir plantés au ciel
les étoiles nous regardent enfin.»

l'eté, chez Cécile A. Holdban, n'est pas cette saison suprématiste des seules extases érotiques sous les feux ardents, provocants, de Phoebus. Ce n'est pas plus - même si, parfois - le temps rustique et sauvage des moissons, des blés resplendissants de leur blondeur violente, des amours inachevables n'ayant à proprement parler ni début, ni fin que les au revoir oublieux. l'eté traduit plus justement un temps en suspension, mieux perceptible sous le couvert d'une forêt, dans la saveur d'un souvenir, fut-il de pluie sous la paupière, de ressac et d'océan. l'eté, c'est peut-être le moment où la nuit prend toute son importance, d'être le révélateur d'un monde abreuvé de couleur auparavant et lorsque l'astre solaire nous dévora de son zénith, la nuit durant laquelle la vie et la mort s'entremêlent aux vives eaux,

«C'est la nuit, des mains embrassent l'eau
pour retenir ton reflet
sur ce pays aux yeux éteints.»

à la respiration des petites bêtes :

«les insectes tracent le réseau
de cités et d'empires
invisibles à nos yeux.»

l'eté, c'est aussi ce temps qui prend source, par son solstice, en des moments païens et sacrés du monde, rejetons de dieux multiples - le Kalevala nous y invite, et la Grèce des antiques nations - ou fils de la Bible et des processions mariales. Car ce temps est de tous les rêves d'envol et de foi, le temps des rites immémoriaux, de cette dévotion éternelle à la terre-mère transfigurée par l'assomption de celle annoncée vierge, dans une religion (relegere plutôt que religare, même s'il n'est pas question ici de relancer de vieilles polémiques) plus récente, mais qui semble se situer dans un temps antédiluviens. On y croise même le rappel fortuit à d'impossibles divinités ancestrales - la tarasque s'y fait délicat coquillage : «conques de dragons aux veines délicates» - et, à l'instar de ces oiseaux intercesseurs des anciens celtes, canards, oies ou cygnes, le pélican au bec étrange et nourricier, symbole médiéval du sacrifice et de la générosité maternelle, anonyme et sublime, lourd sans doute mais blessé, a pour autre qualification :

«De l'autre côté du sable
il vient, c'est lui
un destin, ou sans nom,
l'image qui versera l'eau de mémoire
le pélican à l'aile brisée
qu'on regarde avancer vers les vagues.»

Mais cette ombre de la destinée n'avance pas seul, malgré la distance et l'annonce faite à sa fin :

«Bien au-dessus de lui,
d'autres volent
le cercle sans nom accompagne l'adieu."

Ultime témoignage, ascension dernière accomplie à la manière des antiques sous la forme d'un fragile et ténu Ouroboros aviaire - serpents et oiseaux ne sont-ils pas d'une même antédiluvienne fratrie ? -, interminé et accompli, interminable et momentané, signe magique du retour des êtres, de la lumière et des ombres, de toute éternité, alpha et omega de temps se prolongeant de proche en proche, d'été en été, parce qu'aucune fin ne porte en elle, généreuse, sa seule finalité.

Peut-être.
Peut-être tout cela, et mille autres robes de fête, mille autres gouttes éparses, mille autre chagrins, mille autre soupirs de peau, mille autres autre. Ce serait omettre un moment essentiel de la poésie de Cécile A. Holdban : qu'elle est toute de détails et de finesse, toute enfouie dans ces mots évidents d'une poésie à fleur de lèvre, de ces vers qu'on aurait aimé avoir su dire avant elle, tant ils éclatent d'évidence à ras la vie telle qu'elle est par le dehors et par le dedans, mais dont elle a, seule, le secret :

«Dans le verger la paire de pie s'est tue
tout le jour en habit elles dissimulent l'or
du ciel clos dans l'oeil.»

Et plus encore lorsque le verbe se fait chair, que la chair se donne à la parole :

«Il n'y a que cela :
cette caresse de mot
ce poème de peau.»

Tout est là, ou peu s'en faut, telle une chrysalide prête à l'explosion de cette vie infime et grande, contenue dans sa gangue de soie, dérisoire, indispensable.
«La vie commence là», nous affirme un peu plus tard la poétesse évoquant une Ève. La vie commence là, et y retourne, au coeur de cet été, au coeur de la terre et des eaux, dans le ventre des femmes et au beau milieu du silence. Il suffit d'un rien, de se laisser prendre par ces vers faussement simples mais ciselés toujours avec la patience de l'artisan qui sait la lenteur irrémédiable du monde, la fragilité de la rose, la profondeur de «la langue [qui] gronde enfle et s'étend».

Une belle et généreuse leçon de chose.
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