De la pointe du doigt
puis de la paume entière
effleurer un visage,
doux ou rugueux
l'épaule, la main
ou le galbe du sein
quelques grains de beauté
le pays qu'ils composent.
Il n'y a que cela :
cette caresse de mots
ce poème de peau.
HIÉROGLYPHES
Sur le banc de bois quelques pommes rouges
se rident, petites joues
si on passe le doigt
sur la peau qui doucement sèche
on sent l'eau du dedans et le sucre à la bouche
mais seul le rouge reste.
Dans le verger la paire de pie s'est tue
tout le jour en habit elles dissimulent l'or
du ciel clos dans l’œil.
Tout est là pour qui sait le voir
le soir pas encore vaincu,
l'écorce, les herbes hautes
froissées comme nos mains
on rassemble les graines dans le bleu de nos robes.
HIÉROGLYPHES
extrait 2/2
J’ai longtemps creusé ton visage
avec mes yeux
des rivières en crue larges de tant de pluies
j’avais une faim de bois,
de chevreuils de course et d’aubier
et les forêts naissaient au galop de mon souffle.
Enfin je t’ai trouvé
au centre de la nuit où te jetait mon rêve
tu étais un grand orme rouge abattu par l’orage
le vent jouait entre mes mains et tes racines
et sur tes branches radiantes
chuchotaient des lèvres invisibles.
L’été, les rêves agitent les voilages…
L’été, les rêves agitent les voilages
mieux que la brise
et parlent de disparition.
Les roses suspendent un drap bleu aux fenêtres
je reste derrière
ce monde soluble dans la lumière
où les pierres brûlent et renaissent sans qu’on les voie.
Voilà ma vie depuis longtemps.
Dans mes mains, tu souffles
des fleurs de pissenlit
et puisque je suis là, je sais
où vont toutes ces paroles
d’abeilles à la ruche, de truites à la source,
d’hirondelles aux toits
mais il suffit
que le jour se craquelle
même infimement
comme une huile trop épaisse
un Turner au soleil blanc :
Alors la nuit entre
goutte après goutte derrière mes yeux
et projette du vent, de grands arbres mouvants,
un fracas d’ailes dans le silence.
Tu dois, pour me rejoindre
descendre dans un chaos de lignes
de longs escaliers de pierre.
Sœurs
Extrait 2/2
Il fallait pour qu’elles partent, ouvrir grand
les yeux et les fenêtres, tous les passages
qu’on avait obturés par peur de l’orage
les meubles et les rideaux s’agitaient, tremblaient,
dans une couleur dorée de crépuscule
et les ailes des oiseaux grandissaient
comme des satellites, voltigeaient
réinventant la naissance du geste
le chien devenait fou
lui aussi tournait comme un derviche
son corps trempé
faisait rayonner les gouttes…
Elles surent l’instant précis, la seconde
où l’orage bascula de l’autre côté du ciel
rassemblant le vent sous leurs ailes
elles tracèrent un grand arc du sofa jusqu’à l’eau
qui gonflait sous les arbres.
Depuis, souvent je prie
pour les voir à nouveau…
Les lampes sous les arbres …
Les lampes sous les arbres ont des écailles de serpent
un cèdre baigne son ombre dans le feu
dans le feu il y a le souvenir
de l’océan
coques de fruits de mer éparpillés
fossiles et empreintes d’étoiles
autour du feu
nous devenons veilleurs et dieux
d’une nouvelle genèse.
HIÉROGLYPHES
extrait 1/2
Sur le tronc du châtaigner
quelques branches fines se dressent — frémissent
la clarté entame les feuilles puis rebondit.
Les insectes tracent le réseau
de cités et d’empires
invisibles à nos yeux
pour déchiffrer l’espace,
tu m’as donné un œil fixé au ciel
de cristal et d’eau.
Sœurs
Extrait 1/2
Elle prie pour les oiseaux.
Le jour où avec l’orage sont entrées
dans le séjour
deux hirondelles,
sous leurs ailes les fenêtres
volaient, pleines d’éclats d’éclairs,
derrière elles les arbres foncés par la pluie
bordaient la rivière au fond du jardin.
Tu sais, dit-elle
je ne connais pas leur nom
ce sont des oiseaux aux longues ailes
qui ne savent jamais se poser,
ne sachant se poser
ils renversent l’espace à chaque battement d’aile
et accélèrent
la création et la dissolution du monde.