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Critique de Jultomten


Se lancer dans la lecture d'un roman est un acte particulier. Ouvrir un livre, c'est espérer qu'il va nous plaire, craindre la déception, attendre fébrilement le coup de coeur, la rencontre qui va transformer la lecture en enchantement, tout en sachant que rien ne nous assure que ça aura bel et bien lieu ; rien n'est sûr au début d'une lecture. Parfois, le roman ne nous plaît pas, parfois il nous plaît, sans plus. Quand on a de la chance, c'est effectivement un coup de coeur. Avec Ton père de Christophe Honoré, je n'ai pas ressenti un coup de coeur mais un coup de foudre. Il ne m'a fallu que quelque pages pour comprendre que ce roman, entre le portrait autobiographique et la fiction, allait devenir un de mes préférés. Quelques phrases seulement pour tomber amoureux des mots de son auteur.

Je connaissais une partie du travail cinématographique de Christophe Honoré. Une oeuvre qui ne m'a pas toujours convaincu. J'ai adoré ses films chantés, tombant amoureux de Louis Garrel dans Les chansons d'amour, je n'ai pas réussi à regarder plus de vingt minutes de Non ma fille tu n'iras pas danser, je n'ai été au bout de son Homme au bain que pour la plastique de François Sagat et la douceur de son regard. J'approchais donc Ton père avec curiosité.

Cela fait plusieurs jours que je cherche les mots pour rendre compte de ma lecture de ce roman mais je semble incapable de les trouver sans le sentir niais. J'ai comme l'impression de ne pas être capable de verbaliser ce que j'ai ressenti en découvrant ce livre de manière à lui rendre correctement hommage. Je glisse donc vers la solution de facilité : citer les mots de l'auteur et, je l'espère, vous faire tomber à votre tour sous le charme de cette écriture puissante.

Un dimanche matin, la fille de Christophe (je me permets l'utilisation du prénom seul car il s'agit ici du narrateur, à la fois Christophe Honoré lui-même et personnage de roman), âgée de dix ans, trouve une note épinglée sur la porte de leur appartement : « Guerre et Paix : contrepèterie douteuse ». Cette agression lance l'homme dans une réflexion sur la paternité, et sur son apparente incompatibilité avec l'homosexualité. En même temps qu'il s'interroge sur l'identité de l'épingleur, Christophe remonte le fil de ses souvenirs qu'il nous livre dans un texte fort qui appuie là où ça fait mal.

La langue de Christophe Honoré est vivante, l'auteur use parfois d'une grande liberté dans sa façon de la manier. « Claquer la porte, courir au milieu de l'avenue. Pluie qui taquine mon cou. Traverser le terre-plein jusqu'à la rocade. Sourire à la conductrice qui vient de freiner devant moi. M'engager sur la chaussée, me retourner, marcher en arrière. Pouce, bien le tendre. »

La langue de Christophe Honoré est chaude, aussi. Il s'en dégage une sensualité que viennent soutenir les photos de l'auteur qui parsèment le texte. Ainsi, des fragments de corps masculins parsèment le récit que fait Christophe de ses retrouvailles avec un ancien amant, dans un cinéma : « (...) je ne voulais pas arriver le premier, et puis je fantasmais Benjamin déjà installé, debout face au mur dans un des cabinets, port entrouverte, son pantalon baissé à mi-cuisse, les fesses cambrées, (...) peut-être alors qu'il aurait préféré se mettre à genoux, qu'il ne désirait que sentir mon sexe dans sa bouche, sa gorge, sur ses joues et ses paupières (...) ».

La langue de Christophe Honoré est vivante et chaude, mais elle est aussi incroyablement précise. Elle peut se faire brutale ou douce selon les besoins de la narration, elle charrie la peur et la douleur que peuvent connaître les homosexuels dans une société qui ne les tolère que sous certaines conditions, la plus importante étant de renoncer à la paternité. « (...) amusez-vous entre vous dans le Marais, refilez-vous vos maladies dans les bordels, grand bien vous fasse, mais ne venez pas fréquenter les sorties d'écoles, les réunions de parents d'élèves, vous n'êtes pas diables en accompagnateurs de groupes scolaires, sinon c'est la porte ouverte au prosélytisme, puis aux attouchements, puis aux viols, est-ce si difficile à comprendre qu'on ne doit pas accueillir de loup dans une bergerie, est-ce homophobe que de protéger nos enfants de vous ? »

Christophe Honoré témoigne également de l'héritage qu'ont reçu les homosexuels, et en particulier ceux de l'âge de l'écrivain-cinéaste, des grands noms de la culture morts du SIDA dont les portraits ponctuent le récit. Christophe Honoré raconte la crainte d'une sexualité qui s'accompagne souvent de la maladie et de la mort. « Depuis mes quinze ans, j'avais été instruit à considérer le sperme comme la matière redoutable, celle qui condamnait à mort, une mort créée par mois et par les autres et si facilement transmise. » Crainte qui est revenue au moment où Christophe Honoré a décidé, avec une amie, de donner la vie à son tour. Crainte que l'auteur décrit avec beaucoup de sensibilité.

Avec ce texte très personnel, l'auteur touche à quelque chose d'universel : l'amour d'un père. Cet amour qui surmonte toutes les épreuves quand il s'agit de protéger l'autre, cet amour qui donne de la force tout en rendant plus vulnérable jamais. Christophe Honoré l'écrit à merveille, sans fausse pudeur mais sans enter dans l'exhibition pour autant.

Ton père restera sans doute longtemps un de mes livres préférés, une des lectures les plus importantes dans ma vie de lecteur.
Lien : https://8tiret3.blogspot.com..
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