AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de cecilestmartin


Je suis plutôt contente d'avoir vaincu mes réticences à propos de Houellebecq. Sans jamais avoir rien lu, les polémiques autour de ses romans représentaient un obstacle. Les quelques entretiens visionnés n'avaient pas non plus généré d'enthousiasme excessif de ma part…
A la faveur d'une bourse aux livres, je me suis tout de même laissé tenter par l'achat de Soumission et je ne le regrette pas. J'ai rapidement été embarquée par l'histoire de ce prof d'université, également narrateur, dépressif moyen qui n'a goût pour pas grand-chose à part l'étude des textes de ce qui semble finalement être son seul ami, Huysmans - auteur sur lequel porte sa thèse. Insatisfait professionnellement, affectivement et sexuellement, il est une sorte de misanthrope, peu intéressé par le reste du monde.
Le roman se déroule en 2022, durant la période électorale. François suit cela de loin, avec détachement, il n'a pas vraiment de convictions politiques, il est dénué de toute idéologie et son analyse des forces en présence frôle le cynisme. En 2022 donc, partis de droite et de gauche sont défaits, à terre, ne représentant plus qu'eux-mêmes. le Front national, toujours dirigé par Marine le Pen, paraît dans ce contexte une alternative, tout comme l'autre force en présence, la Fraternité musulmane de Mohammed Ben Abbes, intellectuel habile, rassembleur bien au-delà de sa communauté.
François ne sait pas vraiment quoi penser de ce second tour et fait le tour de ses collègues pour tenter de comprendre ce qui se joue. le départ en Israël de Myriam, sa jeune amante, vient signifier pour lui que peut-être le contexte en France change, que le pays est à un tournant de son histoire. Lui aussi vit des bouleversements : sa libido est au ralenti et ça l'occupe psychiquement presqu'autant que la situation politique ! Pour réfléchir et se mettre à distance, François suit les pas de Huysmans et fait retraite dans une abbaye, cherche dans la religion un apaisement qu'il ne trouve pas.
Je me rappelle très précisément la sortie de ce roman, tant elle est liée à des éléments traumatiques pour tous. Trois années se sont écoulées et la lecture de Soumission se faisant dans un autre contexte, je comprends mal aujourd'hui les critiques faites à Houellebecq. Son roman n'a pas vocation à être prophétique, il ne se présente pas comme tel. Certes, le réel (journalistes, hommes politiques, etc.) côtoie les situations imaginaires – mais c'est souvent drôle, chacun en prend pour son grade, les universitaires n'étant pas épargnés ici.
Je trouve également que la façon d'approcher l'Islam est modérée, Ben Abbes met en oeuvre une politique centrée sur une idéologie qu'on peut critiquer mais qui est en soi une vision du monde construite et partagée par des gens qui ne sont pas musulmans (rejet du mariage d'amour, de la grande entreprise, etc.). Houellebecq est bien sûr provocateur, il focalise tous les fantasmes ambiants.
Le problème ici est-il lié à ce que véhicule l'Islam (tel que décrit par l'auteur) ou au fait que tous finalement s'accommodent d'une mutation sociale privative de droits mais qui sert leurs intérêts (économiques, professionnels, sexuels, etc.). C'est un monde d'hommes, fait pour les hommes que peint Houellebecq et c'est sans doute ma seule, grande et vraie, réserve, qui génère quand même un peu de malaise : la place faite aux femmes dans le roman est rétrograde, machiste et il n'est pas utile pour cela de convoquer l'Islam. La figure de la femme s'incarne dans celle de la bonne cuisinière ou de la maîtresse (étudiante, call –girl, toutes réceptacles des fantasmes du narrateur) qui trouve son plaisir à donner du plaisir.
Le cynisme est poussé à son comble : pour conserver leur statut social, accroître leurs biens, jouir de nouveaux privilèges, peu d'hommes résistent à la proposition de ce nouveau gouvernement qui renvoie les femmes à la maisons (ce qui occasionne une chute mécanique du chômage), légalise la polygamie (autant avoir sous le même toit la cuisinière Et la jeune maîtresse), privilégie l'entreprise familiale à la multinationale – organise en somme la clôture, le repli sans que nul usage de la force n'intervienne.
Ben Abbes pourrait ne pas être musulman – les propositions ici déclinées ne sont pas l'apanage de l'Islam, loin s'en faut. C'est donc dommage de s'arrêter à cette polémique – initiée par l'auteur lui-même qui connait parfaitement la sensibilité du thème et qui subodorait que cela ouvrirait à de nombreuses interprétations, ferait tomber sur lui l'anathème. Cela me semble desservir un roman qui, par ailleurs, est plutôt bien mené et qui se dévore avec plaisir.
Commenter  J’apprécie          160



Ont apprécié cette critique (16)voir plus




{* *}