AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


Le septième jour, est-ce un voyage ? Un aller simple ? Un voyage sans retour ?
J'ai vécu cette très belle lecture comme une oscillation enivrante entre plusieurs mondes, celui des vivants et des morts tout d'abord, mais ce serait trop réducteur de définir ce livre seulement ainsi.
Nous sommes en Chine, dans une Chine à la fois contemporaine et intemporelle. Un homme vient de mourir dans une explosion. Il s'appelle Yan Fei, il a quarante-et-un ans. Il est désormais attendu au funérarium. Ne disposant pas d'urne funéraire, il doit donc patienter, errer... Il découvre très vite que les inégalités qui l'avaient marqué de son vivant entre riches et pauvres continuent de se prolonger dans le monde des morts. Les riches attendent ainsi confortablement leur sort, si on peut dire les choses ainsi, tandis que les pauvres attendent dans des conditions plus rustiques, attendent et attendent encore, devenant parfois squelettes, à force d'attendre... Vous savez ce que c'est que d'attendre...
L'auteur, Yu Hua, que je découvre par la même occasion, nous entraîne dans l'exode de défunts sans sépulture, condamnés à errer dans l'antichambre du repos éternel.
Ce récit est construit en sept chapitres, chaque chapitre étant dédié à un jour, nous suivons donc l'errance de Yan Fei durant les sept jours qui ont suivi sa mort...
C'est l'histoire d'une déambulation, d'une errance parmi l'univers des morts, parmi les histoires de ces morts dont nous découvrons quelques bribes de leurs existences, scènes de vie parfois touchantes, parfois cocasses, avec ce paysage social, sociétal qui se dessine, d'une violence souterraine qu'on devine terrible. Des vies touchantes juste avant que la mort ne les fauche.
C'est comme une danse macabre avec l'étonnement d'une douceur qui s'y pose.
Forcément Yan Fei revoit sa dernière scène dans l'autre monde, celui d'avant.
Passer d'une rive à l'autre, c'est aussi pour Yan Fei se souvenir du passé, le sien, celui des autres, ses proches. Des histoires s'invitent, s'entremêlent, remontant de la mémoire proche ou lointaine.
Il y a le souvenir d'une idylle naissante qui devint un amour qu'on croyait éternel, avec la jeune Li Quing.
Il y a le récit d'une jeune femme qui se suicide.
Il y a le récit de son père, l'évocation de ce père qu'il retrouve ici est forcément émouvante, le ramène à sa propre histoire, sa naissance, ses origines. Être cet enfant né et aussitôt tombé sur la voie ferrée par le simple trou des toilettes d'un wagon, avouez que le destin est parfois insolite. J'ai adoré cette relation entre le père et le fils qui se retrouvent dans cette antichambre de la mort...
Tant d'autres récits aussi, des fragments de vies. Des morceaux d'un puzzle qui viennent construire une constellation avec les voix de tous ces morts qui disent et crient la vie, d'où ils viennent, où ils ont cheminé, où ils vont.
Le thème de la mort est traité avec délicatesse, avec douceur, il y a en effet une douceur infinie dans les mots qui sont dits ici. Qui sont dits de manière onirique aussi.
Mais la mort, est-ce finalement le thème central de ce roman ?
N'est-ce pas le destin ? Ou bien alors la filiation ? Ou bien encore si tout ceci n'était pas prétexte pour nous inviter à ce pas de côté tendu comme une ellipse, une manière de regarder la Chine non plus cette fois intemporelle mais bien vissée corps et âmes dans sa réalité contemporaine, la Chine d'aujourd'hui, tragique et terrifiante.
N'est-ce pas la vie finalement ? La vie qui manque tant dans cette Chine contemporaine au travers de ce monde chaotique qui nous parvient dans le récit ? Un chaos sans limite.
Fouiller. Fouiller au fond de sa mémoire pour reconstituer des bribes de vie, des fragments disparates, comme des morceaux de continents à la dérive. La mort serait-elle ce chemin qui les rassemble ?
J'ai aimé ici la pluie et la neige flottant dans ce paysage en apesanteur. J'ai aimé entrer en apesanteur comme cela dans ce récit, être touché aussi par cette pluie et cette neige que j'ai senties si présentes dans ces pages.
J'ai aimé dans un passage du livre cette image saisissante d'une route asphaltée interrompue qui laisse brusquement place à un chemin de terre cabossé. Je ne saurais dire pourquoi cette image du récit m'a tant troublé. Et si c'était cela la vie ?
Errer entre l'aube et le soir. Un vide silencieux, où avancer...
Alors, ce pas de côté, ce serait quoi finalement ? Peut-être un plaidoyer pour la liberté... ?
La liberté, la liberté d'expression, la liberté tout court, est-ce qu'elle dérive ainsi, elle aussi à son tour, dans les limbes d'un endroit improbable, non encore identifié, la liberté en Chine ? Parlons-en.
Ou bien quelque chose de plus fort encore, disant et dénonçant le malheur là-bas sous l'oppression d'un pouvoir qui favorise les inégalités sociales, la misère, les scandales politiques et économiques, les sévices infligés aux prisonniers, les avortements forcés, les suicides, la répression contre l'homosexualité et d'une manière générale toutes les atteintes aux différences...
Et si ce récit d'une beauté onirique était l'antichambre d'un espoir à venir pour une partie de l'humanité ?
Bref ! C'est un instant sur la terre décrit un mardi soir, le temps d'une chronique à propos d'un roman qui m'a donné, non pas envie de mourir, mais celui de demeurer attentif, attentif à la vie sous toutes ses formes... Vivre, quoi !
Commenter  J’apprécie          4823



Ont apprécié cette critique (48)voir plus




{* *}