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Critique de jg69


Nancy Huston explore ici les similitudes qui lient son parcours à celui d'un jeune homme cambodgien dénommé Saloth Sâr avant qu'il ne devienne Pol Pot, le monstre responsable du génocide cambodgien. Un homme aux lèvres de pierre, à l'éternel sourire de Bouddha. Elle-même a longtemps eu ce sourire énigmatique sur les lèvres. "Soudain j'ai frémi. Je venais de tomber sur le seul Cambodgien en qui j'arriverais peut-être à me projeter : Pol Pot. Idée folle et pourtant la seule possible. Non pas Pol Pot chef d'État, mais l'enfant, l'adolescent et le jeune homme, qui s'appelait encore Saloth Sâr. Il n'était pas impossible que, malgré leurs dissemblances flagrantes, nos trajectoires s'éclairent l'une l'autre. »

Dans une première partie Nancy Huston s'adresse à Sâr qu'elle dénomme l'Homme nuit, elle se met dans sa peau pour retracer son parcours, son enfance paysanne, son année dans un monastère à l'âge de neuf ans où il apprend le détachement et la maîtrise totale de ses émotions, puis ses huit années dans une école militaire française jusqu'à son arrivée à Paris à l'âge adulte où il épouse le communisme. Un être rêveur marqué par son arrachement au monastère bouddhiste.

Dans une deuxième partie, elle parle d'elle à la troisième personne, se donne le pseudonyme de Dorrit qu'elle utilise dans ses textes autobiographiques et se dénomme Mad Girl, jeune canadienne qui a longtemps eu aussi des lèvres de pierre pour masquer sa douleur dans un sourire. Elle raconte sa soumission aux hommes, le contrôle de ses émotions et de son corps au travers de l'anorexie avant qu'elle ne parvienne à se révéler elle aussi à Paris par la découverte du marxisme et par l'éveil de sa conscience féministe militante.

Étrangement de multiples liens apparaissent entre l'Homme nuit et Mad girl, le même effacement de soi, la même maitrise de leur corps et de leurs émotions, la même dureté et le même enfermement sur soi, des chocs à l'origine de prises de conscience pour l'un comme pour l'autre (la découverte du temple d'Anghor et de la grandeur passée de son pays pour lui, l'engagement des US dans la guerre du Vietnam pour elle), des lectures fondatrices à Paris pour l'un comme pour l'autre (sur la révolution française pour lui, sur la révolution russe pour elle), le même passage par l'écriture, le même engagement en politique. Deux jeunesses en parallèle, deux destins en miroir l'un aboutissant au chemin de la création, l'autre sur une absolue monstruosité qui a engendré le massacre, au nom de la vérité marxiste, de 20% de la population de son pays.

Rentrée doucement dans ce texte sans comprendre où Nancy Huston voulait en venir, même si elle décrit sa démarche au début du récit, mon intérêt est allé crescendo au gré d'une montée en puissance vraiment extraordinaire. Nancy Huston réussit à décrypter le jeune homme Sâr en se mettant dans sa peau, le récit de sa vie est documenté, instructif et vivant, son endoctrinement, la montée de son fanatisme sont parfaitement décrits. le récit de la jeunesse de l'auteure est très émouvant et les liens qui apparaissent peu à peu subtilement entre l'Homme nuit et Mad girl éclairent le récit petit à petit.
L'écriture est somptueuse et la construction époustouflante. C'est profond, extrêmement brillant et très convaincant, une fois la dernière page tournée j'ai eu envie de relire la première partie sur Sâr. Un texte autobiographique d'une grande lucidité, traité d'une façon très très originale. Un titre magnifique, judicieusement trouvé "lèvres de pierre, sourire radieux mais absent, bienveillant mais vide". Vertigineux et passionnant !
Lien : http://leslivresdejoelle.blo..
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