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Critique de fbalestas


Quoi de plus opposé, a priori, que ces deux personnages ?
A ma gauche : une jeune canadienne qui découvre l'amour vache dans les années 60, qui suit des études universitaires qu'elle poursuit à Paris dans les années 70, qui y reste, qui devient une Intellectuelle notoire, féministe convaincue et auteure désormais renommée.
A ma droite : un jeune cambodgien, privé de famille à l'âge de 8 ans, jeune moine bouddhiste heureux de l'être, retiré ensuite du Monastère à l'âge de 12 ans, côtoyant princes et princesses, puis partant à étudier à Paris dans les années 70, rentrant dans son pays, s'engageant pour la lutte armée, avant de devenir – mais le récit de « Lèvres de pierre » s'arrêtera là – l'un des pires tyrans que le Cambodge ait connu à la tête des Khmers rouges.
Quel lien entre ces deux personnages ? Rien, en fait, ou si peu.
Mais c'est ce si peu que Nancy Huston va explorer, tissant une des toiles les plus improbables qui soient et qui, bizarrement, fonctionne.
La convention qu'elle utilise est la suivante : pour le futur Pol Pot, prénommé pour le moment Salot Sâr, ce sera un « Tu ». Pour la jeune Nancy Huston, ici prénommée « Dorrit », ce sera « elle ».
Entre les deux, c'est à nous, lecteurs, qu'il revient relier les fils.
Les circonstances de l'avènement au pouvoir de Pol Pot – 1 Million 700 000 personnes mortes pour le génocide des Khmers rouges – n'excusent rien, elles l'expliquent seulement.
La misandrie, le rejet des hommes en général pour la jeune Dorrit s'explique aussi compte tenu de la violence qu'elle a subie.
Et tous les deux, face à l'adversité, scellent leurs lèvres d'un silence que rien ne pourra briser.


Que dire alors de ce lien infime qu'on peut déceler entre eux ? Et ce sourire commun, un masque de protection ?
Faut-il parler de cet effacement de leur personnalité devant le désir des autres, de ce masque de pierre que l'un comme l'autre ont adopté, de cette résistance à la douleur qui les unit, de l'engagement politique, pour l'un comme pour l'autre, pour comprendre et agir dans ce monde qui les a d'abord exclus, ou bien de cette commune vie parisienne, dans un espace-temps qui aurait pu les mettre en présence l'un de l'autre, parenthèse enchantée avant de poursuivre leurs destins radicalement opposés.
Nancy Huston s'en explique au début, elle qui écrit avoir tourné autour du sujet du Cambodge sans savoir vraiment pourquoi, et qui a fini par trouver un fil ténu qu'elle va dévider dans son récit.

« Soudain, j'ai frémi. Je venais de tomber sur le seul Cambodgien en qui j'arriverais peut-être à me projeter : Pol Pot. Idée folle et pourtant la seule possible. Non pas le Pol Pot chef d'état, mais l'enfant, l'adolescent et le jeune homme, qui s'appelait encore Saloth Sâr. Il n'était pas impossible que, malgré leurs dissemblances flagrantes, nos trajectoires s'éclairent l'une l'autre. »

Si l'écriture, sensible, est bien celle à laquelle Nancy Huston nous a habitués dans ses nombreux romans, le lien entre les deux personnages paraît si ténu qu'on ne sait si on doit s'émerveiller de la prouesse de funambule de l'auteure, ou si on doit se résoudre à ne pas comprendre ce qui l'a motivée profondément à établir ce parallèle.
Pour ma part, c'est le sentiment de perplexité qui domine.
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