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Critique de Henri-l-oiseleur


Bien que l'éditeur Bartillat ait publié en 2015, en un seul volume, les quatre romans de Huysmans dont le héros est Durtal ("Le roman de Durtal"), on peut lire chaque livre séparément dans d'autres collections. "Là-bas" a déjà bénéficié de très bons compte-rendus et le mien ajoutera peu de chose. D'abord, on ne lit pas une page de ce roman sans tomber sur un mot français inconnu et charmant, ou employé dans une acception différente de l'usage : Huysmans écrit ses romans comme d'autres, à son époque, des poèmes en prose, et d'ailleurs il en composa qui devinrent des romans. En 1891, "Le Spleen de Paris", "Les Illuminations", "Une saison en enfer" et tant d'autres livres de prose poétique sont parus qui ouvrent l'expression rythmée du poème vers un Là-bas inattendu. Huysmans participe aussi de l'écriture artiste, mais il est revenu des excès d'A Rebours. Sa prose est moins hérissée de néologismes, de tours de syntaxe et de surprise, pour le confort du lecteur. Mais la lecture est une jouissance verbale comparable à ses scènes naturalistes de repas, qui mettent l'eau à la bouche (ah ! le gigot !).

Cette recherche de style est un refus cinglant, méprisant et acharné du siècle : bourgeois, matérialiste, impitoyable, mesquin, bête, ce XIX°s finissant est le repoussoir de "Là-Bas", titre baudelairien et mallarméen ("Fuir ! Là bas fuir ! Je sens que les oiseaux sont ivres / D'être parmi l'écume inconnue et les cieux"). Pendant que les foules s'enthousiasment pour le dernier démagogue en vogue, le général Boulanger ("Boulange ! Lange!" entend-on crier dans les rues), un sonneur de cloches érudit cajole ses cloches dans les tours de St Sulpice, des magiciens invoquent Satan ou le Paraclet, et le héros, comme Huysmans lui-même, écrit une vie de Gilles de Rais, le flamboyant compagnon de Jeanne d'Arc, assassin et pédophile. La rédaction de cette Vie de Gilles de Rais (publiée aujourd'hui par l'éditeur "Mille et Une nuits") est le fil conducteur du roman. Durtal, biographe et bon disciple de Zola, se documente soigneusement, va sur les lieux comme Zola dans sa mine de Germinal ou sur sa locomotive de la Bête Humaine, tente de fréquenter des satanistes et cherche dans son propre temps des échos du XV°s. Il ressort qu'au XV°, on péchait, on se repentait, on priait avec grandeur. Huysmans ménage un effet de surimposition frappant, en montrant Gilles de Rais allant au supplice accompagné des prières et des larmes des parents de ses victimes, qui en chrétiens, à sa prière, lui ont pardonné, et la populace parisienne qui vient d'élire le général Boulanger, sorte de petit dictateur ridicule et provisoire.

Ce roman est le premier pas de Durtal vers la foi. Il en est encore fort loin : son attirance pour le christianisme ne s'alimente que de l'horreur du temps où il vit, ce n'est qu'une réaction antimoderne. Durtal est un grand raisonneur : le roman abonde en pages de dialogues assommants sur la littérature ou la culture du temps : c'est encore la manie naturaliste, zolienne, de tout expliquer et de tout rabâcher. Mais il a fait le premier pas vers Là-Bas en tournant le dos au mythe du progrès.

C'est à juste titre qu'on rapproche Huysmans de Houellebecq. Huysmans, dans un âge bête, prosaïque et athée progressiste, déploie les charmes de la langue esthétisante et de la spiritualité narcissique, comme Gustave Moreau. Houellebecq, dans une autre époque bête, fanatiquement crispée sur ses religions progressistes, humanitaires et libérales, n'est pas moins anti-moderne, mais pour se démarquer des excès de métaphores et de rhétorique de la publicité, de la médiacrassie et de la politique, il doit écrire sobrement.
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