Il est difficile de noter une oeuvre comme celle-ci qui n'était pas destinée à la publication mais constitue un testament ou une bouteille d'eau jetée à la mer par Eugénia Markon pour éclairer les motivations qui furent les siennes dans son activisme politique et sa dissidence, ainsi que dans son immersion dans le monde de la rue et de la délinquance.
Très vite en effet, cette aristocrate née en 1902 à Moscou et son mari, le poète Alexandre Iarovslasik, se sont opposés au régime dictatorial bolchevik.
Elle fut fusillée au bagne des îles Solovki le 20 juin 1931 à l'âge de vingt-neuf ans, six mois environ après l'exécution de son mari. Avant de mourir, elle a rédigé cette autobiographie dans sa cellule : elle fut retrouvée en 1996 par Irina Fligué, directrice du centre de recherche et d'information mémoriale de Saint-Pétesbourg parmi les archives.
L'écrit est ici préfacée par
Olivier Rolin.
Nous y découvrons une femme plus que déterminée, terriblement impliquée dans l'activisme politique. Convaincue que le Lumpenproletariat est la seule classe "pure", au motif qu'elle est la seule qui ne participera jamais au pouvoir, elle fréquente non seulement le monde ouvrier, mais s'immerge également dans le milieu encore plus défavorisé des délinquants de droit commun, vivant pendant des mois, voire des années, dans la rue, de vol et de combines.
Son erreur, comme l'a souligné
Olivier Rolin, est d'avoir cru en cette "pureté" originelle des malfrats, l'expérience ayant démontré, aussi bien dans les goulags que dans les camps de concentration, que la classe dirigeant les lieux de privation de liberté n'avait pas meilleures recrues que les "droits communs", totalement dépourvus d'idéologie autre que pragmatique et accoutumés à la violence.
Néanmoins Eugénia Markon portait de grandes convictions, notamment celle que martyrs et tortionnaires des régimes dictatoriaux étaient également victimes de ces mêmes régimes, les premiers perdant la liberté et la vie, les seconds le libre arbitre qui devrait caractériser l'humain. Elle n'est pas sans rappeler, par cet éclairage quasi mystique et par son indifférence à l'égard de ses intérêts propres, la figure de
Simone Weil.
Toutes deux ont brûlé, mais inutile de dire que
Simone Weil est infiniment plus haut dans l'ordre de ma reconnaissance et de mon admiration.