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Critique de Archie


Joseph Incardona est renommé pour ses romans et ses scénarios policiers. Avec La soustraction des possibles, il avait l'envie d'en renouveler le genre. Dans un court prologue, usant d'une mise en page travaillée, il prétend d'ailleurs nous mettre en garde : ce roman ne serait pas une histoire d'argent, pas une histoire de truands ni une histoire de désir ou d'ambition. Ce serait juste une histoire d'amour… Moi, je veux bien !

Pas une histoire d'argent ? N'empêche qu'il nous plonge, à Genève – sa ville –, dans le maelström discret de la finance d'il y a trente ans. Internet n'existe pas encore, les échanges financiers sont peu numérisés et les valises circulent, lourdes de liasses. Au coeur de ces échanges, UBS, la banque suisse emblématique, tant par sa puissance que par les scandales qui émaillent son histoire. Des golden boys, entourés de jeunes femmes canons, fraient avec la grande et élégante bourgeoisie locale, très fortunée, lors de soirées somptueuses dans les villas de rêve des rives du lac Léman.

Pas une histoire de truands ? N'empêche qu'il n'y a qu'un pas de l'évasion fiscale au blanchiment d'argent sale. L'auteur n'hésite pas à nous faire voyager. Il nous emmène dans l'Ile de Beauté prendre un verre chez de placides bergers corses, puis, dans une parodie de scénario en CinémaScope, nous fait survoler les enfers et les paradis liés aux cartels mexicains de la drogue.

Pas une histoire de désir ? N'empêche qu'une femme du nom d'Odile et qu'un homme prénommé Christophe, chacun de leur côté, auront leurs sens portés à une telle incandescence qu'ils pourraient faire n'importe quoi… et même en crever ! Et que de sublimes escort girls originaires d'Europe orientale feront des ravages bien au-delà de ce qu'on aura pu imaginer.

Restent l'ambition et l'amour, qui en l'occurrence, pourraient aller de pair. Une sorte de coup de foudre entre un prof de tennis beau gosse au profil de gigolo et une jeune fondée de pouvoir de banque aussi rouée que bien roulée, va révéler un partage de frustration et d'ambition débridées. Aldo et Svetlana ne vont plus se satisfaire des ruissellements de richesse qui leur sont dévolus selon la norme, ils vont se croire aptes à jouer dans la cour des grands et convoiter les morceaux de choix que se réservent les vrais puissants. Aïe !...

Un roman plus que noir : une histoire tragique. Comme dans une tragédie antique, Joseph Incardona, auteur et narrateur, se donne aussi un rôle de commentateur. Il philosophe, nous prend à témoin, nous, ses lectrices et lecteurs ; il nous ménage ses effets et se permet même de nous les dévoiler. Il déambule, invisible, autour des personnages auprès desquels, tel le diable de certains romans, il joue les bonnes ou mauvaises consciences. Il fait mine de subir les caprices des personnages, et bien qu'étant le concepteur de l'histoire, son grand architecte en quelque sorte, il les subit réellement. Parce que La soustraction des possibles est une tragédie et que dans une tragédie, ce sont les dieux qui décident du destin des personnages, l'auteur n'étant que leur porte-parole. Dans un scénario de ce genre, les possibles se soustraient en toute logique, la fin est écrite d'avance.

Des digressions, d'apparence incongrue, ralentissent intelligemment le développement des intrigues et font monter notre tension de lecteur, avant que nous n'admettions que les réponses que nous attendons nous seront données quand l'auteur le décidera. Quelques invraisemblances, ici et là, mais comme le dit l'auteur : on s'en fout éperdument quand on est pris par une histoire.

Les péripéties s'enchaînent, captivantes, et les destinées tragiques s'accomplissent. Au passage, l'auteur dresse un tableau critique savoureux du mode de vie de la grande bourgeoise financière et de ses affidés, écartelés entre frustration refoulée et espoir de prime exceptionnelle. La soustraction des possibles nous ramène aussi à la littérature policière d'avant, quand les téléphones portables n'existaient pas. Les personnages d'Incardona s'appellent depuis des cabines téléphoniques, comme dans les Incorruptibles d'Elliot Ness, il y a presque un siècle. Ainsi va le temps qui passe et qui se rappelle à nous avec bonheur.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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