On connaît surtout
Ionesco pour sa Cantatrice chauve et ses
Rhinocéros. Si ce
Journal en miettes vaut d'être lu, c'est tout simplement parce qu'il offre une vision tout à fait différente de celle que l'on possède du dramaturge de l'absurde.
Le
Journal en miettes est un journal sans dates : première entorse au genre, dont on comprend assez vite le sens.
Ionesco se présente, et de façon cruellement sincère, comme un homme en proie aux pires angoisses. Une peur de la mort constante agite ses pages, et prend vite le pas sur ces quelques miettes de souvenirs qui ouvrent son texte.
Rapidement, c'est un journal de rêves qui se met en place, tout de suite analysé par "Z." le psychanalyste omniprésent, mais qui, in fine, ne résout rien, ou simplement n'apaise pas le doute.
Parfois, comme des bouffées d'air dans cette introspection innervée par le désespoir, un petit texte, en italique, intervient : une scénette où l'absurde reprend ses droits, et où la littérature figure comme une ponctuation saine (un point et virgule ?) dans ce journal obsédé par le point final.
Il y a bien quelques réflexions sur l'écriture du théâtre, un beau réquisitoire contre
Sartre, et quelques notes sur l'obsession du "collectif" dans l'Histoire du XXème siècle, mais tout cela est avant tout un journal de mort : les souvenirs d'enfance sont précisément ceux où
Ionesco n'avait pas encore conscience de sa finitude, et tous les rêves décrits sont des rêves de réparation (où les morts revivent et s'agitent dans ces situations absurdes dans lesquelles le sommeil sait si bien nous déposer).
Toutes les autres notes, enfin, sont tournées du côté du "sens" à donner à la vie, du côté de la recherche des "clés" de l'énigme universelle, dans une lutte constante de l'écrivain contre la défaite intellectuelle, présentée comme telle, du "à quoi bon ?"