Citations sur J'apprenais à écrire, à être (19)
Le Bleu et la Poussière
1998
Nous nous frottions, nous nous aimions.
Nous buvions l'eau ensemble.
Et des torrents nous emportaient.
Nous enfourchions cent voyages.
Nous n'avions pas prévu
les jours qui passent.
*
Le poële de fonte et l'écolier.
Rira bien qui rira
dans sa barbe dernière.
L'instituteur a demandé
l'alun, le poivre et la cannelle.
On avait oublié
l'étude et ses désastres.
*
Mot à mot, le poème
devient mur, brique à brique.
Ainsi s'élève
le mausolée du vent.
*
p.167
Un chemin de sel pur
1969
Toit dont l'ardoise
est un léger fardeau
pour l'oiseau rêveur,
si la foudre t'effleure,
tu suis la pluie limpide
pour garder au sec
les miroirs de ma maison.
*
Ce bras qui prend naissance
au mot « aisselle »
est un arbre où des oiseaux
repliés en eux-mêmes
vivent à perdre veine, haleine…
Un geste, un bruit d'aile.
Le corps. La fontaine
où la lumière élève
ma rouge destruction.
*
p.41
Rose expectative, poèmes inédits
(2000-2001)
Suçons le dard de l'herbe
et glissons la main
sous l'écorce et la pierre.
ne soyons qu'un
avec ciel et terre.
*
Mange la poussière
et que ton corps devienne,
avec le corps d'un autre,
même chair, même bleu.
Désir assouvi.
*
Ahane et avale et harasse !
Nul objet arrondi
ne file dans ton ciel.
Tu n'es que
mille morceaux
de toi-même.
p.195
Mots maudits sans mot dire
ou dictons qui prennent eau de toutes parts
Nuage n'est que nuage si le ciel bat de l'aile.
Lapereau sous la paume. L'enfance y palpite.
La suie est la sueur. Le sable est le frère.
Touche la petite haleine qu'un miroir ternit.
Le poing ne serre que le poing.
N'incendie pas le feu que tu boutes au délire.
p.137
La patrie empaillée
1973
Je perds le bras,
je suis l'amant, la lavande.
Et c'est ceci qu'on touche :
le grès de l'œil.
Je pose au fond du pied
la boule de cuivre,
le poids mort du lavoir.
*
Rien n'assourdit la saveur
de la pierre qui dort.
En son sommeil, la voici nue.
Elle garde le ventre blanc
de son séjour sur l'herbe.
Épines et vacances
font tambour ou bonheur.
p.76
Ce manteau de pauvreté
1962
dans la tête de l’homme
qui a tout oublié
il y a un visage effrayant et secret
tourné du côté des choses
intérieures
et qui ne connaît pas la douceur de nos roses
dans la tête de l’homme
qui a tout oublié
où la folie a mis ses housses
dans la tête de l’homme
qui ne répond plus
aux questions qu’on lui pose
il y a
tout entier
celui qu’on n’ose
plus nommer
*
Ma paume est un ciel plein d’oiseaux,
un ciel sillonné de rivières
et d’éclairs calmes….
p.7
Inouïe nuit
2000
Et si c'était encore
l'avant-guerre et la guerre,
les bancs usés jusqu'à l'os
de cent élèves criards
dont on a limé les ongles ?
Et si c'était
l'enfer ?
*
Ce singe, en toi, qui te harcèle,
livre-le aux regards d'autrui,
mais ne le laisse jamais
sortir seul dans la rue.
Tu regretterais d'être,
une fois encore,
ta propre ombre.
p.173
poèmes inédits (2001)
Jardins : la menthe a
peu d'arômes encore, mais
demain nous la humerons
et nos doigts garderont
son incestueuse fragilité.
*
J'ardins : l'ortie y plante
sa brûlure sagace
et la peau qui la touche
reçoit mille coups d'épingles.
Mais l'ardeur fait le sang
plus chaud.
p.199
Ce manteau de pauvreté
1962
Description d’un état d’âme
Je sens contre mon cou les doigts d’eau du som-
meil ; il faut tout oublier, tout fuir, tout perdre. Sur
cette plage d’or et livrée à la blanche enfance, sur la
plage éclatante où se déshabille l’été, le soleil m’éblouit.
C’est la vie sous les paupières. Quelle tornade à présent
va ravager mon âme et par quels courages résisterai-je à
ses assauts? Sous les paupières, c’est la vie tumultueuse
des idées sans tête. Ma page a soif, elle réclame aussi la
boisson fraîche ou le bleu magnifique des encres indé-
lébiles. Les lianes liées s’enroulent autour de l’arbre à
songes : je vis au rythme des couleuvres. Dans ma
bouche, ma langue a brisé l’œuf du rêve. Des peupliers
défilent, un oiseau lourd, percé de flèches, s’abat avec
fracas au milieu de l’étang... On dirait déjà que ma
main se transforme en étoile de mer. Poème, je te
trouve bien étrange, ce soir...
On a commencé les vendanges et les métamor-
phoses.
p.8
La patrie empaillée
1973
Tu vis dans la jambe
où passe le chemin bleu.
Tu respires sans veines.
Tu déchires
tes vêtements déserts.
Sont sœurs
l'écriture et la foudre.
*
Je parle arabe, arbre.
J'aime
pierre ponce, pouce barbare.
Je parle
à ceux qui parlent.
Parle en écrivant parle.
Écris parle et jette
l'anse et le seau.
L'eau vide
emplit le verre.
p.77