Citations sur Karl Max et les faux cils (24)
Le corps glissa le long du mur et s’affaissa dans une posture improbable qui exprimait la souffrance des membres inférieurs, la tête regarda les étoiles avec des yeux si grands ouverts, si magnifiques malgré la mort qui venait de se saisir de l’âme du pauvre être. Le bleu de l’iris luisait de manière surnaturelle sous le rayonnement de la pleine lune. Les cils, faux certes, ourlaient toutefois le contour des paupières, allongeant le regard, le rendant impénétrable et mystérieux.
Jean-Paul et Niels, l’aide cuisinier belge, se languissaient de suivre les périples d’une « affaire » menée par La Pieuvre, il les soupçonnait même de le pousser à la consommation. Il décida donc d’en savoir un peu plus sur ce fait divers qui occuperait les discussions de bar durant les prochains jours. Il but rapidement son café, jeta le quotidien sur la banquette du bar et sortit rapidement avant même que le tenancier s’en aperçoive.
Il était certain qu’il devait s’occuper l’esprit car il ne savait pas, dans le cas contraire, ce qu’il était capable de faire à ce Loulou mentholé qui tournait autour de son bonbon rose. De toutes les façons, cela faisait quelques mois qu’il n’avait pas mené d’investigations et cela lui manquait. Et a priori, il n’y avait pas qu’à lui que cela manquait.
Par quel mystérieux hasard, La Pieuvre se sentait-il touché par la mort de cet être qui lui était inconnu ? Il n’avait pas de réponse à la question et s’en moquait royalement, mais il ne voulait pas laisser cette mort impunie.
La Pieuvre sentit son rythme cardiaque s’accélérer et la colère le gagner quand il lut que la police n’avait aucune piste sérieuse concernant l’assassinat d’un prostitué, venu de l’est. Latuile savait ce que cela signifiait. La police laisserait vite tomber l’affaire, devant s’occuper de choses plus sérieuses.
Deux ans de cette vie là avaient suffi à faire d’elle, une vedette d’un jour, le jour de sa mort. Mais La Pieuvre savait que cette célébrité fondrait comme neige au soleil, qu’elle ne durerait que deux ou trois jours, remplacée par une affaire plus juteuse d’ici peu, ce n’est pas ce qui manquait en ce moment, le tribunal de Montpellier était en effet en train de juger un assassin médiatique et l’affaire faisait grand bruit.
(...) le beau garçon slave était devenu une belle fille à 150 euros la passe. Deux ans de cette vie là avaient suffi à faire d’elle, une vedette d’un jour, le jour de sa mort.
En effet, rapidement, il se retrouva à arpenter le trottoir afin de subvenir à ses besoins les plus alimentaires. Mais la concurrence était rude et il avait vite compris qu’en se travestissant, il pouvait toucher un « public » plus large. Il décida donc de se transformer en Karlmélita, talons hauts, jupes courtes, bas résilles, gants en faux daim, faux seins, faux cils et le beau garçon slave était devenu une belle fille à 150 euros la passe.
Puis il décida de lire l’article qui accompagnait cette infâme photo, il prit connaissance en quelques minutes du résumé que l’on avait fait de la vie de la victime. Karlmélita était né en Russie sous le patronyme de Karl Max et avait émigré en France à l’âge de 16 ans avec comme seule certitude : le mot égalité avait certainement plus de valeur au pays des droits de l’homme que dans celui de Karl Marx. Ce fut une terrible erreur en ce qui le concernait et il l’apprit très vite à ses dépens.
Ce jour là, en découvrant la photo, La Pieuvre sentit tous les poils de son être se hérisser, puis la révolte l’envahir. Comment pouvait-on accepter de mettre en première page des journaux une telle photo ? Pourquoi ne pouvait-on pas laisser leur dignité aux gens, même dans leur mort ? Cette photo était une honte pour la profession.