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Critique de domi_troizarsouilles


Pour commencer, je ne faillirai pas au rituel, mais cette fois c'est avec un vrai bonheur : je remercie sincèrement Babelio et les éditions Harper Collins de m'avoir fait connaître ce livre à l'occasion d'une Masse critique privilégiée !

Je ne savais pas du tout à quoi à m'attendre, mais j'avais lu quelques mois plus tôt le tome 1 de « La villa aux étoffes », que j'avais beaucoup apprécié. Or, je précise d'emblée : si je n'ai pas lu les tomes suivants de ladite saga, c'est uniquement à cause d'une PAL trop imposante, trop d'envies de lectures qui ne suivent jamais de logique bien établie, sans oublier les constantes tentations de ma bibliothèque préférée, si bien que je repousse toujours la suite à « plus tard » ; dès lors, me replonger dans un livre de cette auteure en ouvrant une autre porte, pourquoi pas ?

Et une nouvelle fois, j'ai été agréablement surprise, peut-être plus encore que par ma première lecture de cette autrice, sans doute parce que le contexte historique dans lequel se déroule ce nouveau roman est une période à laquelle je m'intéresse particulièrement : la Deuxième Guerre Mondiale, avec la particularité, si l'on peut dire, qu'on se trouve ici complètement immergés dans un point de vue allemand (malgré quelques incursions en France à cause de l'un des personnages, mais sans pour autant déraper sur le point de vue français).
J'ai envie de dire : il fallait oser ! Certes, l'autrice est allemande, c'est donc normal qu'elle s'adresse en premier lieu à un lectorat « de chez elle » ; le sujet n'en reste pas moins sensible. On sait que, dans les écrits sur l'une ou l'autre guerre, et certainement les plus récentes, c'est (presque) toujours la parole des vainqueurs qui est écoutée, qui fait foi, qui paraît comme seule recevable et digne d'intérêt – et, en ce qui concerne WWII, j'ajouterais même : tant mieux ! Je n'ose imaginer ce que serait notre Europe, notre monde, si les nazis avaient vaincu ! (on voit déjà assez bien ce qu'ils continuent de faire en groupuscules haineux ici et là…)

Mais ainsi, parler des misères du peuple allemand (qui a, faut-il le rappeler, élu Hitler démocratiquement), en ces derniers mois de la guerre où tout le monde avait compris que l'Allemagne allait perdre, mais s'accrochait malgré tout, lançant ses dernières forces notamment dans le terrible front de l'Est – pendant que les forces alliées bombardaient sans relâche, en représailles qu'on estimait bien méritées, les villes allemandes (sans souci des civils, on ne parlait alors plus du tout de « guerre propre » !) ; bref, parler des misères du peuple allemand alors qu'à la même époque les civils de nos pays alliés étaient tout autant dans la misère, ça a quelque chose d'indécent.
Il est vrai que toute une génération de lecteurs actuels est sans doute moins sensible à ce genre de choses, par « ignorance » - et je dis cela sans jugement, c'est plutôt que pour beaucoup désormais, WWII est devenu un événement que l'on étudie en cours d'histoire, dont on souligne l'horreur (l'Holocauste notamment, et tant d'épisodes de barbarie locale), mais qui appartient désormais bel et bien au passé ; alors que, dans mon cas en tout cas, WWII, ce sont aussi des récits bien vivants entendus et réentendus de la bouche de mes parents, car ils l'ont vécue, encore enfants certes, ce qui donne des anecdotes plus inattendues mais tout autant vivaces ; en outre, ils ont connu un grand frère résistant, une grande soeur prisonnière de guerre, et tout de suite ça prend une autre dimension…

Pour autant, j'ai déjà lu des livres qui abordent le point de vue allemand de la guerre. Je citerai par exemple « Promesses aveugles » d'Audrey Magee (autrice irlandaise), dont plus d'un passage fait froid dans le dos, ou « Nous, les Allemands » d'Alexander Starritt (auteur britannique), qui opte pour un ton plus détaché presque académique malgré une touche très personnelle, puisqu'il s'agit de l'histoire même de son grand-père.
Or, ici, non seulement l'autrice est allemande (je sais, je me répète), mais en plus elle opte pour un point de vue résolument centré sur le peuple allemand, à travers quelques figures très typées et très réalistes. Ce sont surtout des femmes, fortes chacune à leur manière, et quelques hommes qui les entourent, souvent dépassés par les événements, prenant rarement les bonnes décisions – on pourrait presque dire que ça a quelque chose de « sexiste à l'envers », même si on ressent un grand respect pour chacun des personnages… avec une place résolument plus belle pour les femmes ; je ne vais pas m'en plaindre !

Avec ça, l'autrice ne nous emmène pas dans le coeur des combats, ou à peine, mais bien sûr on « entend » leur bruit et leur fureur à travers le quotidien des personnages : ce sont ces fameux bombardements que je citais plus haut, et qui semblent presque plus horribles ici qu'ailleurs, car on est dans une ville où il faisait bon vivre « avant », et en particulier dans un café qui avait la tradition d'accueillir des artistes, les chanteurs et autres acteurs du théâtre tout proche – or, qu'y a-t-il de plus opposé à une guerre, dans l'inconscient collectif, que l'Art et la Beauté en général ?
Un café qui, bien évidemment, tient debout, alors que (presque) tout le quartier bombardé est désormais en ruines… Ce sont aussi ces relations naissantes, sous diverses formes, entre les (jeunes) femmes allemandes et les soldats et autres officiers des forces alliées américaines qui, après la défaite de l'Allemagne nazie, occupent désormais la ville ; des relations comme on peut les imaginer, même si certaines semblent déboucher sur un véritable amour, et qui sont au moins aussi mal vues par la population allemande qui se veut malgré tout bien-pensante (on n'est qu'en 1945, après tout !) ; bref, des relations au moins aussi mal vues que ne l'étaient les relations qui ont pu exister, chez nous, entre nos femmes et l'occupant allemand au début de la guerre, et tout ce que cela implique comme conflits plus ou moins importants dans le secret des familles.

À travers ces quelques exemples, j'arrive enfin à ce que je voulais dire depuis le début - mais, vu le sujet, je ne peux m'empêcher de digresser : si l'autrice aborde bel et bien les horreurs de la guerre, d'un point de vue résolument allemand et plutôt féministe, elle propose le tout comme à travers un prisme qui pare de couleurs le quotidien pourtant bien sombre de nos protagonistes. Ce sont des couleurs pas follement aveuglantes, plutôt pastel et parfois plongeant vers le gris quand même, mais bien présentes quoi qu'il arrive ; ce sont les couleurs de l'espoir, de la volonté de vivre, de l'optimisme malgré tout, et de l'amour bien sûr ! Cela ne donne pas pour autant un goût édulcoré à l'ensemble, je l'ai dit : on est en toute fin de guerre puis dans la directe après-guerre du côté allemand essentiellement, et l'autrice ne minimise en aucune façon les difficultés du quotidien, mais ce que j'appelle ce « prisme », cette façon qu'elle a choisie d'aborder les choses, à travers la romance au sens très large, les rendent quelque peu plus légères, plus acceptables et, comme je disais plus haut, toujours porteuses d'un espoir parfois fragile, mais toujours présent ou au moins sous-jacent.

Pour terminer, si je ne donne pas tout à fait 5 étoiles à ce livre, c'est parce que j'y ai décelé quelques toutes petites faiblesses, ou pour le moins, trois points qui m'embêtent un petit peu sur l'ensemble.
En premier lieu, c'est pour moi le moins grave mais quand même, l'autrice se perd avec l'un de ses personnages en France, dans une histoire qui n'a que peu d'intérêt par rapport au reste, qui semble tout à coup bien éloigné du contexte de la guerre et de la lente reconstruction (où que ce soit en Europe), au profit d'une querelle familiale assez peu intéressante, tout à fait intemporelle et, surtout, qui n'apporte pas grand-chose à l'histoire. J'ai lu ces quelques passages-là comme du remplissage inutilement dramatique, alors qu'on avait déjà compris (ou espéré ?) depuis longtemps à quoi ça conduirait…

Ensuite, l'autrice mentionne à plus d'une reprise la peur des gens qui vivaient alors plus à l'Est de l'Allemagne, de l'avancée des Russes… Ah ! les méchants Russes ! Certes, ce livre a été publié en Allemagne en 2019, donc avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie de Poutine. Cependant, en traduction française, il a été publié en 2023, alors que cette guerre à nos frontières (européennes) fait encore et toujours rage, et dans laquelle les Russes sont les ennemis tout désignés (et pour cause !). Dès lors, un certain amalgame est quasi-inévitable… mais, dans le contexte de ce livre, c'est assez désolant.
En effet, « les Russes » que craignaient tant les Allemands de l'époque ne sont pas ceux de Poutine, mais l'autrice se garde bien de rappeler un minimum du contexte historique ! Or, si on sait souvent que la « campagne de l'Est » voulue par Hitler et amplifiée en fin de guerre, alors que tout allait mal pour l'Allemagne nazie (et que leur Führer s'enlisait dans sa folie), on oublie que ça a surtout été l'une des campagnes les plus immondes, les plus barbares de l'histoire contemporaine, les soldats allemands (certes à la limite de leurs propres capacités, mais cela n'excuse rien) ayant commis les pires atrocités auprès des populations civiles russes. Dès lors, il n'était pas trop étonnant que les soldats russes, désormais en marche vers la victoire et vers l'Allemagne en perdition, aient été eux aussi brutaux envers les civils de ce pays qui avait détruit le leur… À nouveau, cela n'excuse rien, mais surtout, ce n'est expliqué en aucune façon, et je trouve cela dommage.

Enfin, petit dernier point qui n'est pas du fait de l'autrice, mais que j'ai trouvé très dommageable : je me suis gardée tout au long de ce (long) commentaire de faire le moindre résumé, car celui proposé par l'éditeur me semble déjà tellement divulgâchant, que je n'ai pas eu envie d'en donner une quelconque version de ma plume ! le retour du père de Hilde après une libération inespérée ou l'arrivée de la cousine Luisa, par exemple, sont des éléments qui auraient amplement mérité d'être tus dans le synopsis proposé par l'éditeur, afin de conserver leur juste valeur : celle de la découverte enchantée par le lecteur ! Bref, si vous ne voulez pas être déçus, ne lisez surtout pas le résumé proposé en 4e de couverture !

Il n'en reste pas moins que je garde une image générale très enthousiaste de ce livre, qui raconte la grande Histoire par le biais de la petite histoire d'une famille (élargie) qui gravite autour d'un café emblématique ; qui ose s'aventurer dans la misère du peuple allemand au tournant de la 2e guerre mondiale, tout en le présentant à travers le prisme de l'espoir, de la fureur de vivre et de l'amour. Une très belle réussite, et j'attends la traduction française du deuxième volet avec impatience !
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