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Critique de Krissie78


Pour la rentrée littéraire 2021 un énorme pavé fait sensation : le dernier-né de la plume de Philippe Jaenada. Sur presque 750 pages il revient sur un fait divers de 1964, l'enlèvement à Paris un soir de printemps du petit Luc Taron, 11 ans. L'enfant est retrouvé mort le lendemain dans un bois en banlieue sud. Rapidement un homme se manifeste dans les médias pour revendiquer le crime. Arrêté au bout de quelques jours il va avouer puis nier être le coupable. Pourtant il passera 44 ans en prison. Un record.

Philippe Jaenada découpe son récit en trois parties. Ce n'est pas un roman mais une véritable enquête journalistique et policière. La première partie est centrée sur le meurtre lui-même : le déroulé tel que les français l'ont vécu en 1964, l'histoire des parents de Luc, l'enquête menée à l'époque, la vie du présumé coupable Lucien Léger jusqu'à sa mort en 2008. Alors que l'on pourrait presque croire que l'histoire est jouée, l'auteur renverse les certitudes avec la deuxième partie. 50 ans après les faits il reprend les éléments de l'enquête, les centaines de pages de documents, les photos, va sur les lieux qui ont parsemé la vie des différents protagonistes, pose des questions, interpelle, confronte les faits, les écrits, les récits, sème le doute dans l'esprit du lecteur. Enfin la troisième partie fait place à Solange, l'épouse de Lucien Léger, une personnalité complexe qui a longtemps mené une vie de misère affective et financière. A la fin des 749 pages il n'y a pas une vérité mais une somme de mensonges en tous genres, de tous bords, et un fiasco judiciaire.

Pourquoi choisir ce fait ? Parce qu'il est survenu la veille de la naissance de l'auteur, parce qu'il vient d'apprendre qu'il a une tumeur au cerveau. Parce qu'il a croisé un avocat un jour. Parce que Philippe Jaenada ne se satisfait pas de ce qui paraît trop clair comme de l'eau de roche.

Cette enquête qui fait revivre un fait divers que pratiquement toute la France à oublier depuis très longtemps, c'est aussi une étude sociologique. Avec force détails l'auteur resitue les événements dans leur époque par mille petites touches (ce dont parlaient les radios, les journaux, les infos, faits divers, météo, musique, sorties cinéma ou littéraire, des détails du quotidien des français, des faits de société, de l'actualité nationale et internationale.). Une époque sans internet, sans téléphones portables, sans police scientifique. Philippe Jaenada y mêle ses propres réflexions au fil de l'écriture, réflexion sur l'enquête, sur sa vie. le sérieux sur sujet est allégé par un humour parfois très noir qui est aussi un peu d'oxygène. le texte est dense, l'impression très resserrée.

Si la première et la troisième partie sont plus centrées sur les acteurs directs et sur la description d'une époque, entre sortie de la guerre et avènement des Trente Glorieuses, la partie centrale interpelle sur le système judiciaire et sa fiabilité, sur les médias, sur le jugement des êtres humains. Dans cette deuxième partie intitulée « les monstres », Jaenada démontre méticuleusement les multiples erreurs et absurdités de cette histoire. Refaisant le chemin du tueur ou plutôt de celui qui s'était auto-accusé du meurtre, épluchant tous les documents sous tous les formats (papier, audio, vidéo, témoignages d'époque et à posteriori) il met en évidence ceux qui pour l'auteur sont les vrais monstres, ceux à qui le crime profite tout comme ceux qui abandonnent le présumé coupable dès lors que ce qu'il dit ou bien la tournure de l'affaire ne vont plus dans leur sens (l'avocat ténor du barreau, le juge, la presse papier, télé et radio).

Si l'histoire et surtout l'approche sont intéressantes, la lecture est difficile. Il y a beaucoup de disgressions, de détails pas forcément utiles sur les protagonistes directs et encore plus sur les indirects. Quant aux passages sur la vie de l'auteur, ses réflexions livrées comme si elles étaient brutes, nature, sans filtre, ne se justifient pas toujours et lassent par moments.

Reste un miroir sociologique d'une époque, et la démonstration des méandres de l'âme humaine. Pas toujours beau à voir. Mais l'être humain cessera-t-il un jour de hurler avec les loups ?
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