AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de vincent34380


Kat Marino rentre chez elle à 4 heures du matin, après sa nuit de travail. Tout ce qu'elle désire, c'est prendre un bon bain chaud et se glisser sous les draps. A deux pas de la porte d'entrée de son immeuble, sous les fenêtres des autres habitants un homme l'aborde, la poignarde à plusieurs reprises, et s'enfuit. Il reviendra plus tard pour l'agresser à nouveau.
Au coeur de ce roman, il y a une authentique question de psychologie sociale, basée sur des faits réels. En 1964, une jeune femme de 30 ans, Kitty Genovese était poignardée à mort sous les fenêtres de son immeuble. Malgré ses cris, aucun des voisins (on avance le chiffre de 38) ayant assisté à la scène, qui a duré une heure et demie n'est intervenu ou n'a appelé la police. Ce fait met en évidence un phénomène connu de la psychologie de groupe : la diffusion de responsabilité.

Après la scène décrivant la première agression de Kat, la narration prend un tour particulier, passant d'un voisin à un autre, tous préoccupés par leurs propres problèmes : le jeune conscrit avec sa maman malade, l'infirmière qui croit avoir écrasé un bébé avec sa voiture, la femme qui soupçonne son mari de la tromper, Thomas sur le point de se suicider et qui prend conscience de son homosexualité, et d'autres… Autant d'histoires distinctes qui forment les fils d'un seul et même écheveau.

L'auteur nous décrit les actions de ces personnages durant ce laps de temps, et comment le temps se traîne, deux heures durant, jusqu'au petit matin. Il nous conte comment, au vu et au su de personnes accaparées par leurs propres problèmes, une femme est poignardée dans la cour sur laquelle donnent toutes leurs fenêtres, au travers desquelles ils sont témoins de l'attaque, et comment toutes ces personnes restent passives.

Ryan David Jahn revisite ce fait divers, examine les vies et les psychés des voisins, témoins passifs de ce drame, et le développe en une suite de courtes histoires. Chacune est particulière, soit triste, soit tordue ou bien amusante. Les crises et les drames se déroulent, seulement troublés, de façon fugitive, par les cris de la victime. La violence dans cette histoire n'est pas seulement limitée au calvaire horrible de Kat. Elle exsude littéralement de toutes les fibres de ce roman.

Les personnages pourraient apparaître prévisibles ou stéréotypés, mais il se trouve en chacun d'eux une réelle profondeur, et leur histoire personnelle, à ce moment précis de leur vie, occulte tout ce qui les entoure, et les rend sourds à une quelconque empathie.
L'auteur éprouve pourtant une grande compassion avec la victime dont il décrit le supplice et l'agonie, et sa volonté farouche de vivre, de survivre, en opposition à la morne passivité de ses voisins.
C'est un roman d'une grande violence, physique et psychologique. Néanmoins il y a des moments de douceur et des personnages réellement beaux, comme Patrick le conscrit, prêt à risquer la prison pour rester au chevet de sa mère malade, ou bien Frank Riva, prêt à endosser la faute d'une autre, par amour. Ces moments de douceur tempèrent le propos très pessimiste du livre. Pourquoi les personnes sont-elles tellement absorbées par leurs problèmes au point de laisser quelqu'un se faire assassiner sous leurs yeux ?
C'est un roman particulièrement noir et brutal, un tableau sans concession sur l'Amérique citadine des années 60, un monde sans pitié, qui préfigure notre époque actuelle, dans laquelle des gens peuvent passer des années à vivre côte à côte sans jamais se voir, processus de déshumanisation qui touche la majorité de nos grandes cités occidentales, où les mots de « convivialité » et d'« entraide » se sont peu à peu vidés de leur sens.
Une belle lecture, qui pourtant n'incite pas à l'optimisme.
Lien : https://thebigblowdown.wordp..
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}