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Critique de Alexein


Le tour d'écrou, chef-d'oeuvre de Henry James, me laisse pantois, sonné, hagard. Moi qui ai l'habitude d'encenser les classiques, je me trouve bizarrement confronté à une énigme qui m'apparaît insoluble et je pense qu'elle l'est ; que le fond, le secret de l'histoire que constitue cette énigme n'est en fait qu'un prétexte, un magnifique prétexte au déploiement savamment orchestré d'ingrédients qui font de ce livre un modèle de genre et de style. le coeur de l'histoire, le seul intérêt que j'y ai trouvé, c'est sa forme.


Dès le début, le ton est donné avec des dissonances et des contradictions, une façon de souffler le chaud et le froid qui est devenue presque agaçante au fil des pages tout en lui conférant un ressort indéniable. L'atmosphère de plus en plus étouffante est très réaliste et les personnages sont très bien campés dans leurs attitudes et dans les dialogues. Cependant, tout ce qui accompagne cela, c'est-à-dire les analyses de la narratrice, sème la confusion en tournant autour du pot dans une sorte d'excès de description de ses états d'âme pareille à un serpent qui se mordrait la queue.


Les non-dits sont bénéfiques à l'intrigue et au suspense. Mais trop de non-dits crée une sorte de distorsion et tout devient tellement tendu que l'ensemble se relâche de fatigue et de lassitude dans mon esprit de lecteur. L'excès d'opacité et la fragilité des points de repère finissent par égarer le petit lecteur que je suis qui ne sait plus vraiment pourquoi il lit cette histoire.


L'auteur sait tenir en haleine par divers effets dont c'est un maître reconnu : les effets de narration, les dialogues, les images. Tout cela est magistralement déployé devant nous. Mais ce qui habille l'histoire semble prendre plus d'importance que le fond et, au lieu de me demander : « Que se passe-t-il à la fin ? », je me suis plutôt demandé : « de quelle manière cela va-t-il se passer ? » Avec toutes les possibilités ouvertes par les ambiguïtés du récit, les pires choses imaginables semblent possibles. Tout n'est lié qu'à la perception, aux apparences ; et le lecteur doit composer avec cela au fil d'un récit où les repères n'en finissent pas de vaciller.


On finirait par croire la narratrice folle ou les enfants des envoyés du diable. C'est l'effet que l'auteur a voulu produire sur l'esprit du lecteur qui prédomine. L'histoire en soi n'est qu'une illusion d'optique. Il nous montre les effets de la force de suggestion sur l'esprit du lecteur, faisant de son Tour d'écrou un véritable tour de force.


Je crois qu'on ne peut plus vraiment apprécier ce genre d'effet aujourd'hui. le cinéma concurrence ce genre de livres qui l'ont d'ailleurs inspiré. Les histoires de revenants sont tellement éculées qu'on en est blasé. Si on a vu Sixième sens, Les autres, L'orphelinat, Apparences (pas tout à fait un film de revenants mais dans la même veine), sans parler des séries Walking dead et autres, on ne peut pas être vraiment choqué par ce genre de livre. On prend conscience de ce que le cinéma de suspense et la littérature noire doivent énormément à James et Lovecraft entre autres.


Henry James, qui appréciait infiniment Flaubert, a peut-être lui aussi voulu produire un livre « qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style ».
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