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Citations sur Penser avec la science-fiction : Tome 2 d'Archéologies .. (10)

la SF met [donc] en œuvre une "méthode" structuralement unique d'appréhension du présent comme histoire ; et peu importe que le monde imaginaire futur qui constitue cette défamiliarisation soit "optimiste" ou "pessimiste". En fait, qu'il s'achemine vers les merveilles technnologiques de Jules Verne ou qu'il se dirige au contraire vers les vieux automates déglingués du futur proche conçus par P. K. Dick, le présent n'en est pas moins un passé.
( in Chapitre 1, Progrès contre utopie ou Peut-on imaginer le futur)
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l me semble important d’insister sur cette fonction cognitive et expérimentale du récit afin de le distinguer d’autres représentations plus cauchemardesques de la séparation hermétique de la conscience vis-à-vis du monde extérieur (ainsi, par exemple, de la "semi-vie" des morts dans "Ubik" de Philip K. Dick). L’une des potentialités les plus significatives de la SF en tant que forme, c’est précisément cette capacité qu’elle a d’offrir quelque chose comme une variation expérimentale sur notre univers empirique ; et Le Guin a justement décrit son invention de la sexualité géthénienne comme une "expérience de pensée", dans la tradition des grands physiciens : "Einstein envoie un rayon de lumière dans un ascenseur en mouvement ; Schrödinger met un chat dans une boîte. Il n’y a pas d’ascenseur, pas de chat, pas de boîte. C’est dans l’esprit que l’expérience se déroule, dans l’esprit que la question se pose." On voudrait seulement rappeler que la "grande littérature" affirmait aussi autrefois de telles visées. Si datée que soit la notion d’hérédité que défendait Zola et si naïve qu’ait pu être sa fascination pour la description par Claude Bernard de la recherche expérimentale, le concept naturaliste du roman expérimental constituait précisément, à l’aube de l’émergence du modernisme, une réaffirmation de la fonction cognitive de la littérature. Le fait que cette assertion ait désormais perdu toute crédibilité montre simplement que l’environnement qui est le nôtre – le système total du capitalisme monopoliste tardif et de la société de consommation – nous paraît si immuable et sa réification si étouffante et impénétrable, que l’artiste sérieux n’est plus libre de le bricoler ni d’en imaginer des variations expérimentales. Les opportunités historiques offertes à la SF en tant que forme littéraire sont intimement liées à cette paralysie de la "grande littérature". Le caractère officiellement "non sérieux" ou populaire de la SF constitue un élément indispensable de sa capacité à relâcher ce tyrannique "principe de réalité" qui censure, donc handicape le grand art, et de ce fait à permettre à la forme paralittéraire d’hériter de la vocation à nous offrir des visions alternatives d’un monde qui a partout ailleurs paru résister au changement, fût-il imaginaire. (Cette description du transfert de l’une des fonctions traditionnelles les plus vitales de la littérature à la SF semble confortée par les tentatives de plus en plus marquées, dans la "littérature" actuelle – chez Thomas Pynchon, par exemple -, pour réintégrer ces capacités formelles dans le roman littéraire).
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On pourrait à mon sens montrer (et les œuvres de Philip K. Dick nous serviraient de pièces principales) que l’obsession thématique de la SF pour la manipulation à la fois comme phénomène sociale et comme cauchemar peut être appréhendée comme une projection de la forme de la SF sur son contenu. Cela ne revient pas à nier l’urgence et l’évidence que possède le thème de la manipulation dans le monde où nous vivons, mais seulement à poser qu’il existe une relation privilégiée, une harmonie préétablie entre ce thème et les structures littéraires caractéristiques de la SF. En limitant provisoirement cette généralisation à Croisière sans escale, il me semble que ce n’est pas un hasard si la question sociale fondamentale à l’œuvre dans un livre où l’auteur joue avec son lecteur (changeant constamment d’orientation, déroutant les attentes du lecteur, dévoilant de faux indices génériques, et, plus généralement, utilisant son intrigue officielle comme un prétexte pour manipuler les réactions du lecteur) est celle de la manipulation de l’homme par l’homme. Dans Croisière, nous touchons à l’union de la forme et du contenu à ce point précis où se révèle l’identité fondamentale entre la structure narrative analysée auparavant et le problème politique soulevé par la fin du livre.
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Tous ceux qui continuent de penser que la science-fiction est affaire de science voudront certainement considérer que la trilogie de Mars relève de cette catégorie. Car si d’une part les scientifiques et autres ingénieurs comptent parmi ses principaux personnages, d’autre part on trouve là des pages et des pages de courts essais consacrés à une multitude de sujets qui relèvent assurément de la science dure, et qui pour la plupart ont trait à la terraformation : par exemple, la biochimie des roches et des solides ; la dynamique des gaz et la composition de l’atmosphère ; les aquifères et la libération de l’eau et d’autres liquides ; des micro-organismes génétiquement fabriqués et de l’ADN génétiquement reconstitué ; la radiation, la lumière, la chaleur ; la chaîne alimentaire ; la structure de la terre ; la météorologie et la dynamique du vent et du climat ; les systèmes botaniques et de classification ; la théorie des cordes et celle des champs unifiés en physique ; la mécanique de la vitesse dans le contexte astronomique et militaire. Au cours de ces brèves et ludiques explications, Robinson parvient à capter l’attention du lecteur ; et l’on aimerait savoir ce qu’en pensent les scientifiques, ou compulser un recueil d’articles écrits par des experts concernant son traitement de ces questions spécialisées, que je considère comme un mélange de conceptualisation fondée sur les toutes dernières recherches et de "spéculation" plus conventionnelle. Le critique littéraire, il est vrai, voudra placer ici un rappel : le roman propose une mimèsis de la science et de l’activité scientifique, non la chose même. (…)
À mon sens, c’est la manière dont ces faits et découvertes scientifiques sont présentés qui possède la plus grande pertinence : ils sont ici mis en scène comme données et comme matériaux bruts destinés à résoudre des problèmes, plutôt que comme éléments abstraits et contemplatifs d’une épistémologie ou d’une image scientifique du monde. Non seulement les "problèmes" – les crises, les dilemmes, les catastrophes – ont une plus grande portée dramatique que les questions de science théorique qui classiquement restent sans réponse ; mais potentiellement, ils libèrent un type d’imagination très différent, et suscitent un ensemble de propositions et de solutions bien plus folles (…).
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Car après tout, nous avons affaire, avec le mercerisme comme avec les combinés P.P., à un spectacle télévisuel interactif (l’omniprésence actuelle de cette technologie de communication est peut-être une bonne excuse pour rappeler sa nouveauté dans les années 1950, ainsi que les peurs et les préoccupations culturelles qu’elle inspirait alors, et qu’elle continue de susciter). Ainsi, nous pouvons avancer que ces épisodes englobent effectivement une méditation sur la culture de masse, hypothèse du reste renforcée par Cornel West, qui a souligné que la religion fait pleinement partie de la culture de masse américaine (ce pourquoi il déplorait qu’elle fût absente du domaine des Cultural Studies). Les drogues participent aussi, peut-être, de la culture de masse américaine ; la crainte qui, dans tous les cas, se manifeste, c’est justement celle d’une certaine "fusion" avec le médium, donc celle d’une perte de l’autonomie individuelle. La télévision relève en tout cas de ces thèmes propres au contexte des années 1950, de ces références aux événements d’alors qui, comme nous l’avons vu, sont (au même titre que la dramatisation de la poupée Barbie, alors une nouveauté) absorbés dans l’œuvre de Dick ; et l’on pourrait suggérer que si, chez Dick, les drogues et la schizophrénie sont mauvaises, ce n’est pas parce qu’elles provoquent des hallucinations, mais parce que ces hallucinations sont trop étroitement liées à la télévision.
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Voyez la capacité qu’avait Dick de traiter l’histoire. La société de consommation, la société des médias, la "société du spectacle", le capitalisme tardif – peu importe le nom que l’on donne à ce moment – se caractérise par la perte du sens de l’histoire, non seulement du passé mais aussi des futurs. Cette incapacité à imaginer la différence historique – ce que Marcuse appelait l’ "atrophie de l’imagination utopique" – constitue un symptôme pathologique du capitalisme tardif bien plus significatif que le "narcissisme". L’ "art de nostalgie", d’ "American Graffiti" aux romans (du reste excellents d’ E.L. Doctorow, témoigne non d’un intérêt pour le passé, mais plutôt de sa transformation en une série de purs stéréotypes. Quant aux vieilles leçons de la théorie et de la pratique révolutionnaires, elles sont souvent – même elles – viciées par la nostalgie historique ("Reds" est aussi un film de nostalgie historique, hélas !).
On conçoit généralement la science-fiction comme la tentative d’imaginer des futurs inimaginables. Mais au fond, son sujet n’est peut-être autre que notre propre présent historique. L’avenir des romans de Dick rend notre présent historique en le transformant en passé d’un futur de fantasme, ainsi dans les passages les plus électrisants de ses livres.
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Car ce sont finalement ses connotations politiques qui empêchent ce nouveau paradigme [NDA : celui d'une médicalisation orchestrée de la vie éternelle] de régresser au rang d’accessoire scientifico-technologique d’un Âge d’or de la SF depuis longtemps révolu. L’idée selon laquelle, dans le conservatisme croissant des années Reagan, la SF s’est rabattue sur des centres d’intérêt plus scientifiques (ou, mieux, que dans une dissociation de la sensibilité à la Eliot, ses énergies se sont divisées entre d’une part ce retour à la science, et d’autre part une reddition à la production à multiples tomes de la fantasy), cette idée paraît assez plausible, mais il serait indiqué de la nuancer. Je pense en effet que la fascination actuelle pour la science dure est tout aussi sociologique qu’épistémologique, notamment du fait de l’énorme récupération, aux États-Unis, de la science dure par les secteurs des affaires et de la défense. Cela signifie que, si nous avons un intérêt pour la science contemporaine, alors nous ne nous intéressons pas seulement aux théories mais aussi à la mécanique de l’expérimentation – aux procédures d’attribution de subventions, au lobbying grâce auquel les équipements nécessaires (des télescopes géants aux coûteux accélérateurs de particules) trouvent leurs sources de financement. Ce qui nous conduit enfin à un intérêt pour la psychologie des nouveaux scientifiques qui ont, peut-être depuis "La double hélice", commencé à supplanter les artistes traditionnels comme déguisements caractérologiques et expressions déformées de la représentation de ce que pourrait être un travail utopique non aliéné. Mais à l’évidence, au moment où nous commençons à nous intéresser à l’activité scientifique comme question de collectif ou de corporation, en termes de professionnalisme, de dispositions et d’aptitudes psychologiques socialement déterminées – en d’autres termes, à la science yuppie, si je puis m’exprimer ainsi -, à ce moment, nous ne sommes pas loin de la réapparition convulsive de la politique générale.
Comment pourrait-il en être autrement dans une situation où les problèmes psychologiques les plus intimes de soin gériatrique et de médecine contraceptive font, au milieu des problèmes par trop physiques des SDF et de l’administration massive et systématique de médicaments aux patients âgés ou à ceux qui souffrent de troubles psychiatriques, quotidiennement l’objet de l’attention des médias ? dans une situation où l’on débat des salaires de ceux qui sont désignés par euphémisme de "fournisseurs de soins de santé" avec autant d’acrimonie que des primes annuelles des grands patrons ? Dans une situation où la privatisation des hôpitaux devient affaire de profit et de business, et où l’on sollicite l’investissement dans l’ensemble de "l’industrie de la santé" ? Dans ce climat, non seulement l’organisation de tous les corps professionnels, y compris des scientifiques, se voit instantanément ramenée à la micropolitique, mais les privilèges politiques spécifiquement liés à la santé ne sauraient qu’atteindre un niveau panique si l’on y ajoutait l’éventualité que l’on pourrait être choisi pour vivre éternellement, sans doute en payant cash."
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Cependant, pour que le roman puisse être lu ainsi, il aurait fallu que sa conclusion fût radicalisée et intensifiée par une représentation plus spectaculaire de l’explosion des bas-fonds, de ce moment où les mutants et les marginaux sortent de leurs cavernes pour accéder à la "lumière du jour" de ce qui reste encore de civilisation (et de pouvoir étatique) – l’armée triomphante des mutants poursuivant les vestiges de la force de frappe des pseudo-frères. S’il s’agissait de "performer" le roman grâce à un certain type de lecture, s’il s’agissait d’organiser le récit autour d’un certain rythme, alors on aurait souhaité que l’émergence des mutants possédât quelque chose de la force de l’apparition, sur le rivage, de l’armée rebelle dans "Queimada" de Pontecorvo (1968) : apparition de la racaille, combattants en haillons, à pied ou montés sur des chevaux, suivis d’aides de camp et de carrioles ; cette masse qui, apparaissant et s’approchant, s’étend à perte de vue.
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En réalité, cette forme de représentation, ce dispositif narratif particulier [NDA : celui de la science-fiction], a toujours entretenu un apport plus complexe à son contenu manifeste (le futur). Car l’apparent réalisme, l’apparente représentationnalité de la SF, dissimule depuis toujours une structure temporelle bien plus complexe : il ne s’agit pas de nous donner des "images" du futur – quelle que soit la signification de telles images pour un lecteur qui, de toute façon, mourra avant qu’elles ne "se réalisent" -, mais de défamiliariser et de restructurer l’expérience que nous avons de notre présent, et ce sur un mode très spécifique, distinct de toute autre forme de défamiliarisation. Des grands empires intergalactiques d’un Asimov, de la Terre, dévastée et stérile, des romans post-catastrophiques d’un John Wyndham, au futur proche des banques d’organes et des mineurs de l’espace d’un Larry Niven, en passant par les conapts, autofabs, ou psycho-valises de l’univers de Philip K. Dick, toutes ces représentations apparemment pleines s’inscrivent dans un processus de distraction et de déplacement, de refoulement et de renouvellement latéral de la perception, dont on trouve des équivalents dans d’autres formes de la culture contemporaine. Dans la "grande" littérature, l’œuvre de Proust n’était que la forme la plus monumentale de cette découverte : le présent – dans cette société, dans la dissociation physique et psychique des sujets humains qui l’habitent – est inaccessible directement, engourdi, vide d’affect. Si donc nous voulons rompre avec notre isolement monadique et "éprouver", pour la première fois et pour de vrai, ce "présent" qui est, après tout la seule chose que nous ayons, il nous faut mettre au point de savantes stratégies obliques. Chez Proust, c’est la fiction rétrospective de la mémoire et la réécriture après-coup qui sont mobilisées pour que l’intensité d’un présent, qui n’existe désormais plus que dans le souvenir, puisse être éprouvée dans une actualité posthume, arrachée au temps, sous un jour totalement inattendu.
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En réalité, cette forme de représentation, ce dispositif narratif particulier [NDA : celui de la science-fiction], a toujours entretenu un apport plus complexe à son contenu manifeste (le futur). Car l’apparent réalisme, l’apparente représentationnalité de la SF, dissimule depuis toujours une structure temporelle bien plus complexe : il ne s’agit pas de nous donner des "images" du futur – quelle que soit la signification de telles images pour un lecteur qui, de toute façon, mourra avant qu’elles ne "se réalisent" -, mais de défamiliariser et de restructurer l’expérience que nous avons de notre présent, et ce sur un mode très spécifique, distinct de toute autre forme de défamiliarisation. Des grands empires intergalactiques d’un Asimov, de la Terre, dévastée et stérile, des romans post-catastrophiques d’un John Wyndham, au futur proche des banques d’organes et des mineurs de l’espace d’un Larry Niven, en passant par les conapts, autofabs, ou psycho-valises de l’univers de Philip K. Dick, toutes ces représentations apparemment pleines s’inscrivent dans un processus de distraction et de déplacement, de refoulement et de renouvellement latéral de la perception, dont on trouve des équivalents dans d’autres formes de la culture contemporaine. Dans la "grande" littérature, l’œuvre de Proust n’était que la forme la plus monumentale de cette découverte : le présent – dans cette société, dans la dissociation physique et psychique des sujets humains qui l’habitent – est inaccessible directement, engourdi, vide d’affect. Si donc nous voulons rompre avec notre isolement monadique et "éprouver", pour la première fois et pour de vrai, ce "présent" qui est, après tout la seule chose que nous ayons, il nous faut mettre au point de savantes stratégies obliques. Chez Proust, c’est la fiction rétrospective de la mémoire et la réécriture après-coup qui sont mobilisées pour que l’intensité d’un présent, qui n’existe désormais plus que dans le souvenir, puisse être éprouvée dans une actualité posthume, arrachée au temps, sous un jour totalement inattendu.
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