JEAN DE NOARRIEU
…
Agneaux bouclés ! Pelouses blanches !
Verdeurs !
Vertiges bleus ! Cabane en planches !
Hauteurs !
Dites aux bergers que je suis
poète,
et que je veux garder, la nuit,
les bêtes !
Adieu Martin ! Adieu Bergère !
Allez !
Creusez le ciel, ô pauvres êtres
sacrés.
Bêlez brebis ! Planez autour,
vautours !
Perdreaux blancs ! Rouges-gorges ! Autours !
Amour !
p.30
JEAN DE NOARRIEU
... Déjà, vers la montagne qui s’éclaire,
sont repartis les grands bergers sévères.
Il y a vingt jours que Martin et Bergère,
elle, mordant les bêtes aux jarrets,
sont repartis vers les lacs de Barèges
où l’azur dur tremble sur les sommets.
Jean de Noarrieu a vu, de sa fenêtre,
l’âne suivi du berger. Et les bêtes
se balancer sous les rauques sonnettes,
et s’alentir, et se précipiter
comme un ruisseau de cornes et de neige
qui, ondulant, bêle dans la vallée.
Ah ! maintenant ils verront les jonquilles.
Ah ! maintenant ils verront les narcisses.
Ah ! maintenant ils verront les prairies,
où l’eau s’argente, écume, saute et rit.
Ô doux bergers ! semez sur le granit
le sel brillant si utile aux brebis.
Mon cœur vous suit vers les vallées natales
ô doux bergers qui, les pieds dans l’espace,
verrez, pensifs, l’escalade des vaches
vers les rosiers des roses digitales.
Adieu ! adieu I Allez dans les cabanes
où la fumée ronge les poutres noires.
Adieu ! Je vous salue comme un poète.
Adieu, Martin ! Adieu pauvre Bergère !
Oh ! écoutez la foudre des sommets ?
Je vous envie ! Je vous suis comme un frère.
Emplissez mes mains d’eau d’argent légère.
Je veux mourir, la brume sous mes pieds.
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