Curieuse époque que cette Belle Epoque ! En à peine vingt ans - la passage d'un siècle à l'autre ! - le monde a fait un formidable pas en avant, avec les inventions simultanées de la voiture, de l'avion, de la radio, de la presse de grande diffusion… avec les bouleversement sociaux, artistiques et littéraires… avec l'avènement d'un modernisme qui explose dans tous les sens… Oui vraiment, une curieuse époque que cette Belle Epoque !
Mais reconnaissons-le, ces manifestations d'un progrès exponentiel étaient réservées aux grandes villes et à la capitale, justement appelée la Ville-Lumière.
Pourtant, on vivait aussi en province. Loin de Paris,
il y avait des artistes et des poètes qui, moins sensibles peut-être à une gloire que du fond de leur campagne ils jugeaient vaine et un peu ridicule, construisaient une oeuvre dont la simplicité - la naïveté, diront certains - était la qualité première. C'était le facteur Cheval qui, caillou après caillou, construisait un palais idéal, c'était le Douanier Rousseau qui peignait des scènes dont l'aspect enfantin lui valait des moqueries sans nom, c'étaient des poètes authentiques comme
Paul Fort ou
Francis Jammes.
Pour les lecteurs du XXIème siècle,
Francis Jammes (1868-1838) est forcément un poète du temps passé. Les thèmes qu'il brasse sont éculés, la foi qu'il exprime est désuète, son style même est anachronique…
Et pourtant, si l'on y regarde bien, rien de plus actuel que
Francis Jammes !
A l'heure où la nature est partout en danger, il nous rappelle quelle richesse elle représente, et quelle force elle pourrait symboliser dans la lutte pour notre survie. Témoignage d'un passé révolu, certes, qui ne parle sans doute qu'aux plus anciens d'entre nous, elle est la preuve vivante d'un trésor à préserver.
La foi chrétienne est bien battue en brèche de nos jours, la désaffection des fidèles s'expliquant par l'effritement des croyances en face de la modernité et des nouveaux dieux. Mais si l'on prend en compte que la foi de
Francis Jammes est "primaire" comme celle de Saint François d'Assise, et au-delà celle des tous premiers chrétiens, on peut penser que l'espérance d'un renouveau est toujours d'actualité.
Enfin, peut-on vraiment reprocher à
Francis Jammes d'user d'une prosodie non conventionnelle ?
Apollinaire, qui n'est pas n'importe quel poète, avait déjà dynamité les fondements de la poésie classique de Villon à
Verlaine. Et pour autant, il n'avait pas tué la poésie, mais lui avait bel et bien donné un autre souffle, une nouvelle vie. Loin d'assassiner la langue française, il l'avait renouvelée. Quand aujourd'hui nous constatons avec effroi que cette dernière, si belle, si riche, si précise, si expressive, n'est plus que l'ombre d'elle-même, nous serions mal venus de critiquer un poète qui a toujours défendu trois choses essentielles qui lui tenaient à coeur : sa terre natale, sa foi… et ce trésor : la langue française.
Alors oui,
Francis Jammes a toujours sa place dans le panthéon des poètes français. Remarquable par sa profonde empathie avec le monde - paysan essentiellement - qui l'entoure, il nous séduit aussi par une foi constante - contemplative plus que militante - et un style original, vierge de toute ornementation poétique, qui parle directement au coeur du lecteur. Par sa sincérité et son authenticité, il rejoint d'autres poètes, comme
Paul Fort, ou encore sa petite cousine du Lot-et-Garonne,
Sabine Sicaud, et annonce
René-Guy Cadou.
Le recueil de l'angélus de l'aube à l'angélus du soir (1898) est très représentatif de l'oeuvre de
Francis Jammes. On le complètera avec
bonheur avec
le Deuil des primevères (1901) et
Clairières dans le ciel (d'où est extrait La prière, de
Georges Brassens) (1906)
Ces trois recueils sont aisément disponibles dans
Poésie-Gallimard (respectivement n° 23, 68 et 142)