Une si petite extermination

Au premier souffle, l'enfant libère un cri qui ne signifie pas la joie, mais qui pleure une perte ; c'est un appel en arrière, une nostalgie, une peur. Puis, peu à peu, tout se met en place chez la plupart des gens. Certains, toutefois, demeurent avec ce vide non cicatrisé et souffrent de nausée existentielle : en cherchant à échapper à ce néant, à cette peur qu'ils ne comprennent pas, ils se font du mal de différentes façons. Toutes sortes d'addictions leur permette d'éprouver du plaisir à la place de ce vide qui s'autodigère. Pourvu que le plaisir dure toujours et encore, parce que la peur revient avec une force décuplée lorsque les intervalles sont trop longs. Donner la mort rassasie l'homme mais excite aussi sa faim de tuer, c'est le cercle vicieux de toutes les addictions.

La guerre ne meurt jamais. Elle change simplement d'uniforme et voyage de pays en pays.

Se haïr soi-même, c'est déjà comme la moitié d'un suicide, c'est être enceinte de sa propre mort.

Je sais que si le destin m’avait placée dans la rue d’une ville occupée, s’il m’avait sommée de regarder des gendarmes en armes brutaliser un homme, juif ou polonais, peu importe, je ne serais pas intervenue pour lui venir en aide. J’en suis sûre et certaine. Je serais rentrée chez moi, j’aurais pleuré et attaché mes enfants aux pieds de la table pour les empêcher de sortir.
Il est difficile, très difficile, de s’opposer.

Ainsi, des centaines de milliers de bourreaux étaient de grands enfants désintégrés avec une lésion neuronale indécelable et inclassable ayant entraîné une psychopathie mesurée.
Et on fait quoi maintenant ?
On s’apitoie sur qui ?
Peut-être uniquement sur le Bon Dieu.

En septembre 1939, lors d’une exécution qui se déroulait sous ses ordres, il fut éclaboussé par des projections de cerveau. Il en fit une hystérie, car ce n’était pas un soldat courageux. Il mit un certain temps à s’en remettre. En se levant à l’aube, après une nuit passée à analyser sa faiblesse, il exigea d’augmenter la distance qui séparait l’exécuteur de la victime. Il convenait d’améliorer toute la procédure afin de ménager tous ces valeureux jeunes gens qui, après une guerre victorieuse, reviendraient à la vie civile et devraient vivre normalement.

Il vient de ton village, Staszek, il a survécu au massacre, il est mort récemment. Avec l’âge, il ne se souvenait plus de ce qui s’était passé mais de sa peur d’enfant.

Jouer avec la frayeur d’un enfant procure une grande joie à ce genre de brutes. Un enfant atteint plus vite le bord du gouffre, il a toujours peur de façon définitive. On sait bien que la violence, la cruauté sont un aphrodisiaque puissant et que ceux qui ne jouent pas avec la mort d’un être humain, ceux qui ne la voient pas germer et venir à maturation chez cet autre, ne connaissent pas la vraie volupté. D’abord timide, incrédule, elle enfle et dépasse la victime: c’est alors que les bourreaux éprouvent le plus de plaisir.

Lorsque les parents d’un enfant sont tués sous ses yeux, c’est comme si l’on tuait tout l’univers avec le soleil, la lune, l’arbre, le champ, le cahier, la poupée. Même s’il lui reste un grand-père, un frère, une soeur, dorénavant ils lui sembleront tout différents, comme venus de la fin des temps. Les choses ne seront plus à leur place même si leur forme demeure.

Le plus grand bonheur d'une vie, parfois, c'est celui que l'on connait dans le malheur.